Parti Communiste International

 
LA SYRIE ET LES LUTTES INTER-IMPÉRIALISTES

Carte : Le Figaro le 15-3-2013 « Deux ans de guerre, un pays morcelé » de Georges Malbrunot
 

La guerre civile syrienne qui a débuté en mars 2011 après la répression féroce de manifestations anti-régime dans le contexte des mouvements d’Afrique du nord, a déjà fait 100 000 morts, quatre millions de déplacés dans le pays, un million et demi de réfugiés en Turquie, Liban, Jordanie, Irak. Les puissances occidentales, faire valoir de la « moralité » des conflits, ne semblent guère pressées d’en arrêter les massacres et de répondre aux appels désespérés d’une population prise en otage, que nous transmettent quotidiennement nos médias « démocratiques ».

Le clan alawite de Bachar El Assad au pouvoir, soutenu par le pouvoir chiite iranien et le Hezbollah (chiite) libanais subit et mène une guerre d’usure contre les troupes rebelles dispersées dans le pays. Les rebelles se dispersent en groupes hétérogènes, rassemblant des déserteurs de l’armée du régime, des citoyens syriens et des activistes islamistes venus d’ailleurs ; regroupements hétéroclites et aclassistes, leurs intérêts ne peuvent être par conséquent que divergents. Ces groupes rassemblés sous le titre d’Armée syrienne Libre en août 2011sont aidés par la Turquie, les pays du Golfe dont le Qatar et l’Arabie Saoudite, pour ce qui concerne les rebelles islamistes sunnites, qui sont en fait des djihadistes salafistes (1), mais l’armement fourni au compte-goutte par les pays « amis » ne leur permet de réaliser qu’une guerre de guérilla sans fin avec le régime de Bachar. Un Conseil National Syrien, tenu principalement par les Frères musulmans, et pour cela financé par le Qatar, a été créé à Istanbul dès septembre 2011 sous l’égide de la Turquie et des pays occidentaux, dont les USA et la France, cette dernière jouant le rôle de petit nain de la diplomatie internationale ; mais ce Conseil peine à être considéré comme un gouvernement en exil en raison de nombreuses divergences en son sein et des différents avec les groupes armés.

Les événements de ces derniers mois semblent se précipiter, et des informations qui ne sont pas toujours vérifiables arrivent de toutes parts. Le Hezbollah libanais qui jusqu’alors se faisait discret, a envoyé du renfort à son parrain syrien. C’est à travers la Syrie qu’arrivent les armes et l’argent en provenance de l’Iran. L’armée syrienne de Bachar avec l’aide des ce renfort, après un siège de deux semaines, aurait repris le contrôle de la région de Qoussair, près de la frontière libanaise, tenue par les rebelles depuis 18 mois, rétablissant ainsi la liaison avec la plaine libanaise de la Bekaa et donc avec Beyrouth, située à 100 km de Damas par la route. Des informations provenant de diverses sources nous apprennent que la Jordanie, jusqu’ici très prudente, s’est affichée comme une plate-forme de soutien aux rebelles, acquis pour la plupart aux frères musulmans, avec des camps d’entraînement, et que son roi aurait mis à la disposition d’Israël deux couloirs aériens pour ses drones, tandis que des troupes US, anglaises et françaises stationnent dans le pays. Les caisses vides de Jordanie et sa dépendance financière vis à vis de l’Arabie Saoudite et des USA, y sont certainement pour quelque chose, car le roi met son trône en danger ! Il serait en effet confronté à l’opposition véhémente d’une partie de la bourgeoisie jordaniennes et d’une partie de la population. Des députés, des syndicalistes auraient manifesté leur opposition à toute attaque contre la Syrie, et des manifestations auraient éclatés à Amman et dans d’autres villes du pays pour protester contre la présence de forces américains. Des drapeaux américains auraient été brûlés et des tribus jordaniennes, traditionnels soutien du régime, auraient menacés de s’en prendre aux GI’s. Sous la pression, le gouvernement jordanien aurait dû démentir début mai, toute velléité d’intervention contre la Syrie et toute utilisation du pays comme base d’opérations !

Un article du journal de droite « Le Figaro » paru sur son site et signé d’un journaliste qui connaît bien la région, puisqu’il a été enlevé et détenu pendant quatre mois en Irak en 2004, affirmait le 27 mai que les forces spéciales françaises se préparaient en Jordanie en vue d’une éventuelle intervention en Syrie avec deux compagnies de combat et des militaires du 13ème régiment de dragons parachutistes. Les articles du Monde de ces derniers jours mettent en avant des preuves de l’utilisation d’armes chimiques par le pouvoir syrien, préparant ainsi « l’opinion » à une possible intervention de troupes françaises ! On connaît la chanson : quand les journaux de gauche comme de droite se font les chantres de leur bourgeoisie et de leurs ambitions impérialistes, ils sont prêt à faire feu de tout bois. Et avec les antécédents de simulacres inventés pour justifier l’intervention en Irak par les anglo-américains, on devine que derrière ces simagrées se cachent seulement des manœuvres guerrières et diplomatiques et que de gros intérêts sont en jeux. Le revirement diplomatique français et les clowneries pitoyables du ministre des affaires étrangères Laurent Fabius, qui exigeait avant toute négociation le départ de Bachar El Assad, est déjà oublié puisqu’il s’agit de prendre le train en marche. Les États-Unis ont décidé avec leur « alter-ego », la Russie, d’une conférence internationale de la paix, d’un Genève 2, succédant au Genève 1 de juin 2012 qui avait réuni les 5 membres du Conseil de Sécurité de l’ONU (USA, Chine, Russie, France, Grande Bretagne), la Ligue arabe, la Turquie et la Grande Bretagne. En plus de Bachar, la Russie veut imposer l’Iran comme partenaire des négociations ! Les discussions à Genève ont démarré le 5 juin entre l’ONU, la Ligue arabe, les USA et la Russie, pour décider des participants. Afin de participer à ce marchandage, fin mai, les 27 membres de l’Union européenne, pressés par la France et la Grande Bretagne, pris de court et pour tenter de peser dans les prochaines négociations, décidaient à Bruxelles de lever l’embargo sur les armes pour les rebelles syriens mais seulement à partir du premier août ! Le gaz sarin et surtout les armes conventionnelles pourront ainsi faire encore de nombreuses victimes avant que la paix ne survienne. Mais de quel type de paix s’agit-il vraiment ? Et à quel type de guerre avons-nous affaire ?

L’analyse rapide et ahistorique de nos propagandistes bourgeois conclut le plus souvent à un conflit régional entre la puissance iranienne en concurrence depuis des siècles avec les pays arabes et à ce jour avec ceux du Golfe, Arabie Saoudite et Qatar en tête, afin de parvenir au contrôle du Moyen-Orient, voire même pour les plus pointus à une guerre entre l’Iran soutenu par la Russie de Poutine et le monstre américain, et au pire, pour les plus ignorants, à une guerre de religion islamique entre les traditionnels ennemis sunnite et chiite. Les marxistes, pour qui l’histoire de l’humanité comporte un développement, une direction et un déterminisme, font une lecture bien différente, et détecte dans le conflit syrien, survenu à la suite de tant d’autres conflits dans le monde, la patte énorme du capitalisme parvenu depuis plus d’un siècle au stade de l’impérialisme. Les conflits qui agitent les petites nations, même si elles représentent des puissances régionales ne sont que l’expression de tensions pour la répartition des richesses de la planète entre les grands impérialismes dont la force militaire et diplomatique s’exprime au travers de leur production économique et de leurs masses gigantesques de profit extorqué au prolétariat mondial.

En effet les bourgeoisies des USA, de la Chine et pour une moindre part de la Russie s’affrontent en Syrie pour la maîtrise du marché mondial et des zones géostratégiques qui contrôlent les voies commerciales et l’approvisionnement en matières premières, indispensables à l’accumulation du capital. Aussi approvisionnent-elles en armes les différents protagonistes et coalitions qui soutiennent leur camp impérialiste, tout en déployant leur diplomatie secrète et internationale : ONU, OTAN, Union Européenne Les deux grands mastodontes du siècle, les USA et la Chine, sont à l’œuvre pour discuter d’un nouveau partage du Moyen-Orient. La Syrie est désormais la proie de la lutte entre les deux plus grands impérialisme mondiaux, l’impérialisme Nord-Américain et l’impérialisme chinois qui apparaît lié à celui russe dans la question du Moyen-Orient, et qui tout comme l’allié soviétique fournit des armes à l’Iran.

Dans cet inextricable conflit syrien où s’affrontent à l’évidence les États-Unis et la Russie, il ne faut pas oublier la Chine que nos médias et politiciens passent étrangement sous silence. Les USA sont encore l’impérialisme dominant mais la Chine les talonne comme une locomotive lancée à toute vitesse. La Chine s’apprête à détrôner les USA en matière de commerce mondial, exprimant par là sa puissance industrielle montante et l’accumulation forcenée du capital qui ne pourra que déboucher dans une gigantesque crise de surproduction, bien pire que celle de 1929. En 2012, pour la première fois la Chine a pratiquement rattrapé le volume commercial des États-Unis – 3867 milliards de dollars contre 3882 (2) – et s’apprête à les dépasser. Un économiste de Goldman Sachs cité par l’agence Bloomberg déclare ainsi « A ce rythme, beaucoup de pays européens vont davantage faire du commerce avec la Chine qu’avec d’autres partenaires européens d’ici la fin de cette décennie ». Adieu l’Union Européenne ! La chasse aux sources d’énergie s’accélère. Pékin est devenu le premier importateur de pétrole au monde – les USA le furent dès 1975 – en décembre 2012 avec deux fournisseurs principaux, la Russie et l’Iran (où s’approvisionne aussi une puissance asiatique montante, l’Inde) : 5,98 millions de barils par jour importées par les USA contre 6,12 pour la Chine.

Les USA de plus profitent de leur production en pétrole de schiste, réduisant leur dépendance vis à vis de l’ OPEP et des prévisions font de ce pays en 2020 le premier producteur de pétrole de la planète, dépassant l’Arabie Saoudite. L’Asie (la Chine et l’Inde) devraient absorber 90 % des exportations du Moyen-Orient d’ici 2035. Cependant dans leur prévisions, tous oublient la formidable crise de surproduction qui aura frappé tous ces pays, bien avant cette date ! L’Arabie Saoudite demeure le premier producteur et exportateur mondial de pétrole brut avec 11,6 millions de barils par jour produit (trois fois plus que l’ Iran) et 8,6 exportés ; en 2012 16 % de son pétrole exporté étaient destinés aux USA (soit 13 % des importations pétrolières de ce pays dont le principal fournisseur reste un pays tout proche, le Canada !). La Russie, qui alimente en bonne partie les pays européens, et la Chine en pleine expansion, ne lâcheront pas la mer Caspienne et l’oléoduc Iran-Irak-Syrie-Méditerranée. La Chine a commencé à marquer sa présence sur les principales routes maritimes, chasse gardé des USA ; les entreprises chinoises ont investi des milliards de dollars dans des pays producteurs de pétrole comme le Soudan, l’Angola, l’Irak. La marine américaine va réduire le nombre de ses portes avions opérant dans le détroit d’ Ormuz, endroit clé du marché pétrolier mondial qui relie le Golfe persique et les grands consommateurs mondiaux, afin de mieux se positionner dans l’océan indien et l’océan pacifique.

En 2010, le Turkménistan, situé sur le bord Est de la mer Caspienne, a confié la totalité de ses exportations de gaz à la Chine, la Russie et l’Iran. Ce pays n’a aucun besoin urgent des pipelines dont les États-Unis et l’Union Européenne ont fait la promotion. Le pipeline turkmène-iranien de 182 km démarre modestement avec le pompage de 8 milliards de mètre cubes (Mm3) de gaz turkmène. Mais sa capacité annuelle est de 20 Mm3 ; cela répondrait aux besoins énergétiques de la région iranienne de la Caspienne et permettrait ainsi à l’Iran de libérer pour l’exportation sa propre production de gaz dans ses champs gaziers méridionaux. L’intérêt mutuel est parfait : Achgabat obtient un marché garanti auprès de son voisin ; le nord de l’Iran peut consommer sans crainte de pénuries hivernales ; Téhéran peut générer plus de surplus pour l’exportation ; le Turkménistan peut rechercher des routes de transit vers le marché mondial via l’Iran.

Il s’agit donc bien d’un nouveau schéma de coopération énergétique Russie-Chine-Iran-Turkménistan – la Russie, l’Iran, et le Turkménistan détenant respectivement la première, deuxième et quatrième place pour les réserves mondiales de gaz – qui se passe des Majors pétrolières. Et la Chine est le futur plus gros consommateur mondial. L’impérialisme US va donc devoir revoir sa copie stratégique afin de négocier avec la Chine un nouveau partage de la planète ! Et à Genève 2, c’est bien de cela dont il s’agit, et pas d’un sauvetage humanitaire de la population syrienne !

Dans cet affrontement au Moyen-Orient et avec les bruits de bottes en mer de Chine, où l’impérialisme chinois montre des dents de plus en plus longues, l’on assiste aux prolégomènes de de la future 3ème guerre mondiale.

Si le prolétariat ne profite pas de l’opportunité que va lui offrir la crise historique de surproduction en cours de préparation pour renverser la bourgeoisie et abolir les rapports de production capitalistes, les deux blocs impérialistes, poussés par la crise, entraîneront le monde dans une troisième guerre mondiale, seule solution pour permettre au capitalisme de recommencer un siècle d’accumulation.
 



1. Les groupes djihadistes se réclament du salafisme, qui a pour origine l’islam pratiqué en Arabie Saoudite. Ces groupes que l’on retrouve au Sahel et en Afrique méridionales, sont financés principalement par le Quatar et l’Arabie Saoudite. C’est le cas notamment dans les pays du Maghreb et au Sahel et notamment en Somalie. Mais d’autres États impérialistes financent et manipulent ces groupes, voire même des puissances régionales comme l’Algérie.

2. Source OMC, mai 2013 Par volume en valeur on entend la somme des importations et des exportations.