Parti Communiste International

14 octobre 2014
Kobané
LES KURDES DANS LE BOURBIER DU MOYEN‑ORIENT




La prograssio de l’EIOctobre 2014 :
- en rose : territoire tenu par le gouvernement syrien
- en gris : territoire tenu par l’ EI
- en vert : territoire tenu par les rebelles
- en jaune : territoires kurdes (14-10-14 : en Syrie il ne reste plus qu’une partie de Kobané)


Les désastreux combats de Kobané, ville syrienne qui se trouve au nord est de la Syrie peuplé en majorité de Kurdes mêlés à d’autres minorités, opposent les Kurdes syriens aux djihadistes du groupe Etat islamique EI ou Daesh en arabe. Ils remettent à l’ordre du jour les aspirations nationalistes ou de reconnaissance ethnique des Kurdes, aspirations représentées par une multitudes de partis dont les plus importants sont en Turquie le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan considéré encore aujourd’hui comme une organisation terroriste par les USA et L’Union européenne) et dont la branche syrienne est le PYD ou parti de l’union démocratique kurde, en Irak par le Parti démocratique kurde PDK de Massoud Barzani et l’ union patriotique kurde UPK de Talabani (président de l’Irak il y a peu), tous concurrents entre eux.

La revendication d’autonomie est apparue avec le démantèlement de l’Empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale qui, après les promesses d’obtenir un état indépendant du Kurdistan du traité de Sèvres de 1920, se sont terminées par l’éclatement de la zone entre les nouveaux états Irak, Syrie, Turquie et la Perse. Ces quatre pays régulièrement en conflit les uns avec les autres ont utilisé les velléités nationalistes ou ethniques des partis kurdes régnant sur leur pays pour entretenir des guérillas épuisantes pour les autres (Iran-Irak, Irak-Turquie, Syrie-Turquie), et lors des réconciliations en s’unissant pour les combattre.

En effet les Kurdes ne forment pas un peuple très homogène et uni. Sur 35 millions de Kurdes, la moitié se trouve en Turquie soit le 1/5ème de la population et de nombreux exilés habitent en Allemagne, en France, en Grande Bretagne.

Ils parlent des dialectes différents ; ils ont aussi des religions diverses : sunnites en majorité avec une partie soufie, chiite (en Iran), yézidis. Ils sont ainsi très divisés selon leur origine géographique et leur histoire est marquée par de nombreux conflits entre tribus ; en effet, ils n’ont jamais réussi à former une unité politique centralisée. Ainsi les princes kurdes sous les Ottomans luttaient sans unité contre le sultan ; puis les multiples cheikhs et les différents partis kurdes se disputèrent régulièrement, ces divergences étant utilisés par les gouvernements des pays où ils vivaient. Certaines tribus participeront au massacre des Arméniens par les Jeunes Turcs, combattront les Frères musulmans en Syrie pour le compte de Hafez al Assad.

Révoltes kurdes, répressions, trahisons, luttes internes et réconciliations, ce processus n’a cessé depuis des décennies et il resurgit une nouvelle fois aujourd’hui dans le contexte délabré du Moyen-Orient où s’opposent les grandes puissances impérialistes (USA, Russie et Chine) et régionales (Turquie, Iran, Syrie, Arabie Saoudite et émirats, l’Irak étant désormais enferrée dans le chaos).

Voyons le problème kurde syrien puisque aujourd’hui le Kurdistan irakien de Mr Barzani est bien protégé et apprécié de la Turquie et des USA. Les Kurdes sont surtout présents dans le nord et le nord est de la Syrie. Au début des années 1960, le gouvernement syrien voulait arabiser sa frontière avec la Turquie dans les régions kurdes, dans une zone peuplée de Kurdes et de chrétiens qui s’étend entre la Turquie et l’Irak. Cette région avait connu des mouvements autonomistes durant le mandat français et ces terres étaient des terres agricoles fertiles et riches en pétrole. Mais en 1971, à son arrivée au pouvoir, Hafez al-Assad stoppe l’arabisation forcenée cherchant à s’allier les Kurdes contre les Frères Musulmans, et en 1982, lors de la révolte organisée par ces derniers, les Kurdes prirent part à l’écrasement du mouvement. D’ailleurs les gardes du corps d’Hafez étaient le plus souvent des Kurdes et des chrétiens avec lesquels il pratiquait la même politique de protection. Les Kurdes de Syrie n’avaient aucun droit politique et culturel mais ils n’étaient pas persécutés, pour autant qu’ils ne présentaient aucune revendication politique.

Le PKK, fondé en 1974, après s’être débarrassés des Kurdes qui lui étaient hostiles (femmes et enfants compris) démarraient leur guérilla contre les autorités turques ; ils se finançaient par le trafic de drogue, armes, attaques de banques, le racket des Kurdes exilés, et étaient aidés matériellement et financièrement par la Syrie. Ce parti était ainsi toléré en Syrie et ses troupes pouvaient s’entraîner au Liban et en Syrie, parfois aux côtés des Palestiniens du FPLP. Dès 1979, son leader Öcalan put s’y réfugier de 1979 à 1988, leur ennemi commun étant la Turquie, membre de l’OTAN et allié d’Israël. Le PKK collaborait même avec le régime alaouite pour contrer l’influence d’autres partis kurdes. De 1980-90, de nombreux Kurdes syriens allaient se battre contre la Turquie dans le Kurdistan irakien attaqué par l’armée turque. En 1998, à la faveur d’un rapprochement entre la Turquie et la Syrie, Damas expulsait Öcalan (il fut ensuite arrêté au Kenya et remis à la Turquie en 1999), et poursuivait les militants du PKK.

L’émergence en 2003 d’un Kurdistan irakien autonome soutenu par les USA provoquait des heurts entre les populations kurdes et arabes en Syrie. En 2005, un cheikh soufi kurde était enlevé, torturé et assassiné. Arrestations, emprisonnements et tortures de Kurdes se multipliaient.

En octobre 2011, tous les partis kurdes syriens, sauf le PYD-PKK, fondaient le Conseil national kurde syrien, rejoignant la population arabe opposée à Bachar. Les militants du PKK-PYD ne participèrent pas aux manifestations des Kurdes anti-Bachar et voire même tentèrent de les empêcher. En mars 2011, pour se réconcilier avec les Kurdes, Bachar publiait un décret accordant des cartes d’identité à 300 000 Kurdes apatrides, libérait des prisonniers politiques kurdes, laissait revenir les exilés politiques et se désengageait des régions kurdes. Il s’agit de trois poches le long de la frontière turque qui ne communiquent pas entre elles : la région d’Afrin au nord ouest d’Alep, de petits territoires qui débordent le Kurdistan turc au niveau de la ville turque d’Urfa et où se trouve Kobané, enfin la partie en coin à la frontière Irak-Turquie avec la région en bec de canard de la Djézireh. La tactique de Bachar était en effet de chercher à diviser l’opposition au régime, de plus en laissant plusieurs provinces proches de la Turquie sous le contrôle kurde, Damas défiait ainsi la Turquie.

En juillet 2012, à Erbil dans le Kurdistan irakien, Massoud Barzani du PDK réunissait et réconciliait tous les partis kurdes syriens y compris le PKK-PYD. Ce dernier consentait à participer à la cogestion des villes et de la population des zones kurdes syriennes. Mais le PKK-PYD refusait de former une force armée unifiée avec les peshmergas kurdes syriens bloqués en Irak du nord et qui voulaient s’allier à l’Armée syrienne libre ASL. Au sein de l’ASL existe un bataillon kurde dont les membres sont opposés au PYD l’accusant de soutenir Bachar. Des conflits suivis de trêves sont fréquents entre YPG (Unité de protection du peuple kurde), branche armée du PYD, et l’ALS.

Mais les attaques de djihadistes contre les Kurdes permet à tous les partis kurdes de se réconcilier. Entre les djihadistes et les Kurdes, de nombreux éléments les séparent ; les djihadistes considèrent les Kurdes comme de mauvais musulmans en raison du soufisme et des yézidis (kurde de religion zoroastrienne) qui y sont nombreux, de leurs femmes non voilées et libres, et ils sont hostiles à toute autonomie kurde. Même détesté par de nombreux Syriens kurdes, le PKK-PYD est aujourd’hui en première ligne face aux djihadistes de l’EIL et de Al Nostra, autre groupe djihadiste en Syrie.

Les partis kurdes syriens non PKK sont donc coincés entre leur volonté de rejoindre le Conseil national syrien et leur lien avec le PKK pour la cogestion des régions kurdes et de la force armée kurde, le PKK étant hostile au CNS. Et l’attaque actuelle de l’EIL contre les régions kurdes syriennes semble effacer toutes les divergences.

En effet la guerre civile syrienne a développé et fortifié l’Etat Islamique EI qui a envahi ensuite une bonne partie de l’Irak jusqu’aux portes de Bagdad et de Mossoul avec l’aide de la bourgeoisie sunnite : cheikhs, notables, et partisans baasistes et ex-officiers de Saddam Hussein, en rébellion depuis la chute du dictateur et que les mesures vexatoires et répressives du gouvernement irakien dirigé par un premier ministre chiite ont poussé à se soulever.

Les peshmergas du Kurdistan irakien ont refusé d’aider l’armée irakienne et ont profité de sa déroute face à l’EI pour occuper Kirkouk qu’ils revendiquent depuis longtemps en juin 2014. En août l’EI se rapprochait du Kurdistan irakien qui faisait alors appel à l’aide internationale. Les USA répondaient rapidement et formaient une coalition de 22 pays. Et grâce aux frappes aériennes US et de ses alliés, l’avancée de l’EI est stoppée.

L’EI, bien équipé et bien encadré par des officiers de métier (baasistes, tchétchènes) mais sans aviation s’en prend aujourd’hui à l’une des trois zones syriennes kurdes le long de la frontière avec la Turquie. Le dernier bastion est désormais Kobané dont une bonne partie est déjà sous le contrôle islamiste malgré les combats héroïques des combattants kurdes.

Réunis autour des USA, les pays de la coalition procèdent à des frappes aériennes à partir de leurs bases militaires au Koweït, Qatar – la Turquie ayant refusé qu’ils utilisent les bases turques – de façon à ralentir la progression de Daesh. Mais toute intervention terrestre est repoussée sous le prétexte de ne pas vouloir déclencher un conflit encore plus grave, les milices kurdes syriennes avec leurs armes légères devant suffire…

L’armée turque est massée de l’autre côté de la frontière et refuse d’intervenir alors que de l’autre côté des combattants kurdes défendent seuls et démunis la ville de Kobané face aux assauts des djihadistes de l’EI lourdement équipés. La plupart des 40 000 habitants de la ville auraient fui et la citadelle est une des dernières enclaves du nord de la Syrie qui ne soit pas sous le contrôle de l’EI. En prenant Kobané, les djihadistes contrôleraient la route qui longe une grosse partie de la frontière syro-turque de 900 km de long. Les Kurdes irakiens ou turques ne peuvent se rendre à Kobané qu’en passant par la Turquie car la route irakienne est tenue par l’EI et les tribus sunnites hostiles à Bagdad.

De nombreux combattants kurdes du PKK se sont rendus en Turquie depuis leur quartier général des monts Quandil, situé dans le nord du Kurdistan irakien. Plus d’une centaine d’entre eux ont commencé une grève de la mains, dénonçant leur détention dans une salle de sports à proximité de la frontière syrienne. Or la Turquie ne permet le passage que de convois humanitaires amenant de la nourriture mais pas d’armes ni de combattants sans lesquels la ville ne pourra résister bien longtemps.

Sans parler du fait que le Kurdistan irakien réagit mollement au drame de Kobané puisque la Turquie a désormais des liens très serrés avec la région en raison d’investissements importants dans la construction et dans l’approvisionnement en pétrole, « volé » à l’Etat irakien – ou ce qu’il en reste –, grâce aux bons auspices du PDK et de l’UPK qui se partagent la gouvernance du Kurdistan irakien et la manne pétrolière. Ces deux partis ne voient pas d’un trop mauvais œil les coups dirigés contre le PKK !

L’immobilité d’Ankara, pourtant alliée des Etats Unis au sein de l’OTAN, s’explique par le fait qu’elle exige des Occidentaux la chute de Bachar, et qu’elle préférerait voir flotter le drapeau noir de l’EI sur Kobané plutôt que celui du PKK-PYD.

Le président turc, Erdogan, a déclaré que le PKK et l’EI représentent le même danger pour le pays, mais l’EI non seulement est une force qui s’oppose à Bachar al-Assad mais aussi au PYD, branche du PKK en guerre contre le pouvoir turc depuis 1984. La Turquie se refuse d’intervenir à Kobané. Elle a pourtant offert un soutien politique et matériel à l’opposition syrienne à l’étranger, laissant passer par son territoire des combattants et des armes pour des groupes rebelles, mais fermant les yeux sur des milliers de candidats djihadistes transitant par son territoire pour se rendre en Syrie. C’est aussi par la frontière turque qu’ont été acheminés une grande partie des armes, des équipements et du ravitaillement destinés à l’EI et d’autre groupes islamistes qui combattaient Bachar. L’EI est géographiquement enclavé, sans débouchés naturels autres que l’Anatolie turque ; il est en même temps riche grâce aux puits de pétrole qu’il contrôle, sans parler des rançons, rackets, pillages, financements étrangers et il peut ainsi trafiquer avec de nombreux intermédiaires.

Mais Erdogan et son parti islamiste l’AKP, qui comme les Frères Musulmans, sont considérés par l’EI comme des apostats, ont montré aussi qu’ils pouvaient user du bâton : début 2014, l’aviation turque a bombardé un convoi djihadiste qui se dirigeait vers une ville tenue par les rebelles, et au début de l’été, le gouvernement turc a réduit puis bloqué le débit de l’Euphrate vers la Syrie entraînant l’arrêt des turbines électriques du barrage de Tichrin dans la région contrôlée par l’EI ! N’espère-t-elle pas que l’EI la débarrasse de la base du PKK en Syrie et ensuite de Bachar. Ou bien encore, débarrassé du PKK-PYD avec la chute de Kobané, n’a-t-elle pas le projet d’envoyer alors ses troupes en Syrie pour atteindre Bachar.

Les USA ont déjà reculé sur ce dernier point, une intervention militaire en Syrie de leur part ou de leurs alliés ayant rencontré le veto de la Russie et de la Chine. Ce serait pourtant un moyen de pression sur la Russie dans la question de l’Ukraine. Mais les USA sont aussi en discussion avec l’Iran dont ils voudraient se rapprocher et qui est elle aussi très hostile à toute intervention qui mettrait en péril sa domination sur la zone allant de la Syrie au Liban en passant par la Palestine avec le Hamas.

Quant à armer de façon plus efficace les combattants de Kobané, et donc les troupes du PKK, tout le monde (c’est-à-dire toutes les bourgeoisies) est d’accord pour ne pas le faire. Il va falloir faire avaler la pilule ! Car d’un côté les mass-media décrivent un combat inégal où la population des zones irakiennes et syriennes est terrorisée et martyrisée, les femmes réduite en esclavage et violées, par des djihadistes qui exposent leurs exploits macabres sur internet, et ceci pour expliquer et justifier les interventions « humanitaires » des pays occidentaux, et de l’autre des diplomaties prudentes voire pleutres qui ne « veulent pas aggraver le conflit » en envoyant des armes lourdes ou en intervenant par voie terrestre ! Mais nous savons bien au travers de l’histoire des guerres que ça ne leur pose pas trop de problèmes d’abandonner ainsi des soldats avec quelques armes pour tenir le plus longtemps possible face à une armada pendant que les discussions diplomatiques vont bon train ! Rappelons-nous les combats sans issue pour les troupes françaises constituées de jeunes recrues à Dien Bien Phu en 1954.

Les Kurdes de Kobané sont pourtant bien abandonnés de tous. Et les Kurdes européens ne peuvent rester sans réagir devant l’inaction impitoyable des gouvernements. En Belgique, en France, en Allemagne, des manifestations ont eu lieu, parsemées du drapeau noir du PKK. En Turquie, les manifestations, dont certaines très violentes, dans de très nombreuses villes du pays, ont été durement réprimées et ont déjà fait des dizaines de morts. Le gouvernement d’Erdogan a imposé le couvre-feu dans six province du pays à majorité kurde. Öcalan, de sa prison turque, a appelé ses partisans à se préparer à la guerre. Le PKK dont le quartier général se trouve dans les Monts Quandil en Kurdistan irakien a annoncé qu’en cas de massacre de Kurdes à Kobané, le cessez-le-feu décrété en mars 2013 après des décennies de guérilla en Turquie serait rompu et que la lutte armée reprendrait. Le 13 octobre, en réponse à des attaques du PKK contre des forces de sécurités turques dans le sud est de la Turquie depuis 3 jours, des avions turcs ont bombardé leurs positions.

La population kurde sert à nouveau de chair à canon dans le conflit sournois qui oppose les bourgeoisies internationales et régionales. Le prolétariat kurde a tout à y perdre ! Il doit rejoindre les autres prolétariats, dépassant les différences ethniques et religieuses, dans une lutte commune contre le capitalisme, ses guerres de rapine et les monstres terroristes qu’il crée.

Lutter pour la société communiste, c’est lutter pour l’abolition de toutes les formes d’oppression. Avec l’abolition des classe disparaîtra non seulement l’oppression de classe, mais aussi l’oppression de l’homme sur la femme, l’oppression de peuples sur d’autres peuples et l’oppression des minorités.

Le communisme ce n’est pas la nuit où toutes les vaches sont grises ; pour que l’on se comprenne tous, il existera quelques grandes langues internationales, comme l’anglais, le français, l’espagnol, etc.., langues qui elles-mêmes évolueront et deviendront très différente en tendant à fusionner, mais à côté chaque peuple parlera sa propre langue, pourra exprimer sa propre culture. A côté d’une tendance à l’internationalisation, il y aura aussi une grande diversité de mœurs et de cultures.

Le prolétariat kurde n’a rien à attendre des gouvernements et des partis kurdes bourgeois et collaborateurs, sauf la terreur, les attaques contre les conditions de travail, l’inhumanité de leurs méthodes. Seul un combat de classes, seule l’organisation en syndicats dirigés par le Parti communiste International permettra aux travailleurs du monde entier d’y voir plus clair dans le chaos actuel et d’agir avant que le bâton ne tombe ou que la mitraille ne les frappe une nouvelle fois.