Parti Communiste International
 
1er août 2015


L’IRAN ET L’ACCORD DU 14 JUILLET 2015 UN PAS EN AVANT POUR LE GÉANT CHINOIS

  

L’accord obtenu à Vienne le 14 juillet 2015 entre l’Iran et les plus grandes puissances mondiales (USA, Russie, Chine, France, Allemagne et Royaume Uni) apparaît selon les mass médias comme une solution viable permettant de régler un dossier délicat au cœur des relations internationales depuis douze ans. Après des années de laborieuses négociations, il aboutit ainsi à la levée graduelle des sanctions de l’ONU, des États-Unis et de l’Europe. Démarrées en 2006, et visant les secteurs de la finance, de l’énergie et du transport iranien, elles étaient justifiées par le prétexte de la mise en route d’un programme nucléaire iranien dans un but militaire. Mais qu’en est il réellement ?

En effet, avec la chute du Shah et l’arrivée au pouvoir des Ayatollahs chiites en 1979, l’Iran échappait à la zone d’influence US. Téhéran poursuivait son ambition de devenir le leader dans la région comme l’espéraient aussi l’Irak, l’Arabie Saoudite, la Turquie. Et l’Iran prenait violemment position contre les États-Unis et Israël, forteresse militaire au cœur du Moyen-Orient de l’impérialisme américain, l’URSS étant désignée de « petit Satan » seulement.

Dans les années 1990, l’Iran chiite maintenait des relations diplomatiques et commerciales avec la Russie et les anciennes républiques soviétiques, en raison notamment de leurs intérêts communs en Asie centrale et dans le Caucase, mais elle se tournait aussi vers la Chine et l’Inde. En effet, la République Populaire de Chine trouve dans l’Iran un débouché pour ses exportations et une source d’approvisionnement pour ses besoins croissants en énergie; elle a été un allié de l’Iran en lui fournissant des armes et de la technologie nucléaire. En 2013, la Chine, protagoniste le plus discret des négociations sur le nucléaire iranien qui a débouché sur l’accord du 14 juillet, était le premier partenaire économique de l’Iran (elle y exportait 30 milliards d’euros dont 80% de produits pétroliers et dérivés) renforçant ainsi sa position stratégique dans la région et son avancée géopolitique au Moyen Orient et dans le Golfe. Pékin a ainsi lancé son ambitieux et coûteux projet de corridor économique, la « Route terrestre et maritime de la soie », qui veut relier l’ouest chinois à l’Europe en passant par l’Asie centrale et le Moyen-Orient via le Pakistan. La diplomatie américaine joue du clairon devant les accords du 14 juillet, alors qu’il s’agirait plutôt d’une victoire à la Pyrrhus !

Dans le contexte politique du heurt des grands impérialismes pour le contrôle de la région et des marchés mondiaux, et pour l’exportation de leurs capitaux, le géant chinois, en alliance avec la Russie et l’Iran, tente de contenir l’expansion géo-stratégique des USA au Moyen-Orient et en Asie centrale, dont un des piliers est l’islamisme sunnite, et de lui enlever des marchés commerciaux. Et quant aux USA, la pression exercée sur l’Iran par les sanctions économiques, avec l’aide de ses satellites occidentaux, avait pour but, non pas tant de faire renoncer l’Iran à son programme nucléaire, que de le forcer à passer dans leur zone d’influence, contrant ainsi ses concurrents chinois et russe.

En utilisant des sanctions à visée économique contre l’Iran, de plus en plus strictes au fil des ans, adoptées par l’ONU, les grandes puissances impérialistes et leurs sbires, il s’agissait d’étouffer le pays financièrement et de l’isoler du reste du monde occidental, comme cela avait été le cas lors des mesures de boycottage de l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid dans les années 1970-1980. Avec l’impossibilité de transférer de l’argent depuis ou vers l’Iran via le système bancaire et en utilisant des sanctions contre les banques, les USA ont mené la danse.

Depuis les accords de Bretton Woods, nés des décombres de la seconde guerre mondiale, en 1944, le dollar des États Unis demeure la monnaie des changes et des marchés financiers internationaux, même si son poids décline progressivement et que certains pays comme la Chine tentent tant bien que mal de s’émanciper du billet vert pour les opérations commerciales. A ce jour, Wall Street, demeure la principale place financière mondiale où la plupart des matières premières agricoles ou énergétiques sont cotées en dollars et sur les places américaines.

Pas de crédits, pas de transactions financières possible, pas de commerce, pas d’activité. Les banques irakiennes et chinoises furent ainsi interdites d’accès au secteur financier américain après avoir réalisé des transactions avec des banques iraniennes. Les gros acheteurs de pétrole iranien – les exportations de brut représentaient 80% des recettes de l’Iran – comme la Chine, l’Inde, la Turquie, l’Afrique du Sud, le Japon, Taïwan et la Corée du Sud, furent obligés de renoncer à leurs approvisionnements iraniens. En 2012, les exportations de Téhéran tombaient à 700 000 barils par jour au lieu des 2,8 millions de barils par jour à l’automne 2011, époque où l’Iran était le quatrième exportateur mondial.

Ces sanctions ont évidemment provoqué une situation économique désastreuse en Iran avec la chute du rial face au dollar et des conséquences terribles dans un pays qui importe l’essentiel de ses produits alimentaires, d’où l’envolée des prix et les tensions sociales dans le pays.

L’Iran répondit aux sanctions en accordant un crédit de 3,6 milliards de dollars au régime syrien alaouite de Bachar Al Assad, en envoyant des forces d’interventions iraniennes à Damas, en menaçant de bloquer le détroit d’Ormuz, voie de transit du pétrole du Moyen Orient, et son soutien au Hezbollah libanais, aux partis chiites irakiens et au Hamas (sunnite) palestinien est bien connu. Aujourd’hui, même après les accords de juillet, les liens entre Téhéran et Bachar demeurent très serrés. L’Iran devrait devenir l’intermédiaire pour des négociations avec le régime de Damas.

Cette levée progressive des sanctions permettra des retombées économiques substantielles pour l’économie iranienne. Avec les accords du 14 juillet, l’embargo des armes offensives est maintenu durant 5 ans, mais le programme nucléaire iranien n’est pas démantelé. Le texte encadre, bride et surveille de plus près les infrastructure iraniennes, permettant ainsi à l’Iran de gagner du temps dans sa course à l’arme nucléaire. En 2003, l’Iran ne disposait que de 163 centrifugeuses contre près de 20 000 aujourd’hui qui servent à transformer l’uranium. Mais si l’Iran est empêché pendant au moins 10 ans d’obtenir l’arme nucléaire et doit subir de façon plus stricte le contrôle de ses infrastructures nucléaires (mais au prix de longues procédures), le break-out – temps nécessaire pour produire assez d’uranium enrichi pour obtenir l’arme atomique – n’est que d’une année (sic!) ce qui est très court si l’on devait envisager des représailles... c’est à dire selon la procédure de snap-back de l’accord avec la réintroduction des sanctions en cas de violation constatée, voire une riposte militaire.

Car en effet le problème n’est pas celui de l’armement nucléaire iranien, qui est l’objet d’une concurrence effrontée entre les différentes entreprises internationales, mais l’enjeu est géopolitique et commercial. Les perspectives commerciales de l’accord sont considérables. L’Iran va récupérer 100 à 140 milliards de dollars d’actifs gelés par les sanctions. Le pays, avec ses 78 millions d’habitants, est le deuxième marché du Proche Orient; il est assis sur des réserves de pétrole et de gaz très importantes et devrait retrouver sa production pétrolière d’avant 2006 avec le risque d’une diminution des cours mondiaux. C’est le dernier grand marché émergent relativement inoccupé par les grandes entreprises internationales qui vont s’y ruer comme les chercheurs d’or vers l’eldorado: automobiles, électro-ménager, assurances, agro-alimentaires, construction d’infrastructures (transports aériens, voies ferrées, installations pétrolières), compagnies pétrolières et gazières, etc...

Après le ministre allemand de l’économie, accompagné d’une délégation d’industriels le 23 juillet, c’est le tour de celui français le 29 juillet de se rendre à Téhéran pour préparer le terrain aux entreprises françaises. La France est une des grandes perdantes des sanctions contre l’Iran, ses échanges commerciaux ayant été ramenés de 4 milliards en 2004 à 500 millions d’euros en 2013. La compagnie pétrolière Total est fortement intéressée par les gisements énergétiques mais la concurrence sera rude même si Téhéran a rompu le contrat du chinois CNPC en avril 2014 sur un de ses champs pétroliers.

Quoiqu’il en soit, l’Union Européenne regarde du côté de l’Iran pour remplacer le gaz russe. La Russie est en effet un des principaux fournisseurs de gaz naturel de l’Europe et l’Iran dispose de la deuxième réserve mondiale de gaz derrière la Russie. Moscou ne doit pas voir cela d’un très bon œil puisque le pouvoir s’est engagé depuis quelques années dans une politique de contrôle stratégique des voies d’approvisionnement en gaz, d’autant que le gaz naturel est en train de devenir une ressource aussi stratégique que le pétrole. Véritable État dans l’État, la compagnie russe Gazprom a les mêmes intérêts que l’État russe.

Quant aux perspectives géopolitiques, elles sont tout aussi explosives. Le dégel entre les USA et l’Iran inquiète en effet au plus haut point Israël et les monarchies sunnites du Golfe qui concourent à obtenir la suprématie régionale. D’autre part, si les USA rétablissent ainsi des relations avec l’Iran, rompues depuis 1980, cet accord permettrait aussi d’amorcer une coopération militaire sur les crises en Syrie et en Irak, sur les marchés mondiaux de l’énergie.

Mais le jeu est serré. L’Iran et les USA font mine d’œuvrer ensemble contre Daesh, organisation terroriste sunnite, née du chaos irakien et syrien. Cette dernière, apparue en 2004, peu de temps après l’intervention américaine en Irak, est désormais devenue une organisation armée redoutable, occupant de vastes zones de la Syrie et de l’Irak, qu’elle organise administrativement de façon très efficace, et menaçant l’Arabie Saoudite et l’Iran. Ses ressources matérielles et financières énormes ne s’expliquent pas seulement par le commerce du pétrole des puits qu’elle détient ou des antiquités vendues en Occident par des réseaux mafieux, car d’autres puissances régionales concurrentes entre elles, comme l’Arabie Saoudite et autres pays du Golfe alliés des USA, et également la Turquie, y sont aussi pour quelque chose.

Il est vrai que depuis son braquage de la succursale de la Banque Centrale irakienne à Mossoul en juin 2014 et la main mise sur 425 millions de dollars, Daesch est devenue l’insurrection la plus riche du monde (la fortune du Hamas était estimée à 70 millions de dollars en 2011, celle des Farcs entre 80 et 350 millions de dollars, celle des Talibans entre 70 et 400 millions de dollars). De plus cette organisation a récupéré lors de ses victoires militaires les arsenaux des opposants à Bachar et ceux de l’armée irakienne en déroute.

Quant à la Turquie, sa situation économique désastreuse la conduit à fermer les yeux sur la montée en puissance de l’Iran et à se réconcilier avec Washington sous le prétexte de lutter ensemble contre Daesh, envers lequel Erdogan s’était montré jusqu’alors plus que conciliant, surtout lors des combats contre les Kurdes en Irak et en Syrie. En remerciement de ce ralliement, Erdogan peut désormais avec l’accord américain reprendre les armes contre le groupe kurde du PKK à l’est de la Turquie et au nord du Kurdistan irakien où leurs militants ont trouvé refuge, ce qui devrait freiner les ambitions de tous les groupes kurdes.

Le jeu d’échec entre les grandes puissances impérialistes connaît une nouvelle phase d’accélération.

Lors de la 4ème conférence internationale à Moscou le 16 avril 2015 qui réunissait 70 pays et qui portait sur la sécurité internationale, étaient présents le ministre de la défense chinois et iranien et des représentants de l’Inde, de l’Afrique du Sud, de la Biélorussie, du Kazakhstan, du Vietnam; et pour les pays de l’OTAN seulement la Grèce et la France. Le thème portait sur les efforts communs de la Chine, de l’Inde, de la Russie et de l’Iran contre l’expansion de l’OTAN avec des projets de pourparlers militaires tripartites entre Pékin, Moscou et Téhéran. Le ministre de la défense russe y rappelait que les possibilités d’un conflit mondial allaient croissant en raison de l’absence de préoccupation de la part des USA et de l’OTAN pour la sécurité des autres pays.

Les ministres russe et kazhak ont annoncé que la mise en œuvre d’un système de défense aérienne commun contre le bouclier de défense anti missile de l’OTAN entre leurs deux pays a commencé, définissant ainsi une tendance. Le ministre de la défense iranien, certainement pour peser sur les discussions en cours avec les pays occidentaux, a vigoureusement appelé la Chine, l’Inde et la Russie à s’unir pour s’opposer à l’expansion de l’OTAN à l’Est. Le ministre russe a déclaré au ministre chinois des Affaires Étrangères que les liens militaires de Moscou et de Beijing étaient sa « priorité absolue ». L’Eurasie conteste donc la position des USA sur leur perchoir occidental et leur statut de tête de pont en Europe.

Et le célèbre géo-stratège et conseiller des présidents états-uniens de la sécurité, Zbigniew Brzezinski, a mis en garde les élites américaines contre la formation d’une coalition eurasienne qui « pourrait éventuellement chercher à contester la primauté de l’Amérique » avec une coalition sino-russo-iranienne. Rappelons que Brzezinski, ardent défenseur de l’expansion de l’OTAN, s’est spécialisé sur le bloc soviétique dès les années 1950 et est un des fondateurs de la Commission Trilatérale, composés de dirigeants politiques US, européens et japonais. Il est aussi un des théoriciens de « l’arc de crise » appliquée en Afghanistan, au Liban, et permettant de contrer les concurrents impérialistes en favorisant l’installation d’un régime terroriste. En 1997, après l’explosion de l’URSS, il publiait son livre « Le grand échiquier » où il exposait la stratégie permettant d’éviter qu’un État ne puisse devenir hégémonique en démantelant tous les régimes qui restent hostiles à un remodelage des zones stratégiques importantes pour les USA. Cette politique a été baptisée « instabilité constructive » ou « chaos créateur » par les néoconservateurs américains et repose sur trois principes : entretenir et gérer les conflits de basse intensité ; favoriser le morcellement politique et territorial ; promouvoir le communautarisme. Et le Moyen Orient en est le triste exemple !

Pour les stratèges chinois, face à la coalition trilatérale de l’Amérique, de l’Europe et du Japon, la riposte est en effet celle de façonner une triple alliance liant la Chine à la Russie et à l’Iran. Et le ministre de la défense chinois Wanqan a déclaré lors de cette conférence qu’un ordre mondial équitable était nécessaire. Un ordre mondial équitable veut dire dans le langage géo politique, un nouvel équilibre de partage des marchés correspondant aux forces économiques de chaque superpuissance, la Chine talonnant désormais de très près le géant US. La crise de surproduction qui touche inexorablement les grandes centrales capitalistes rend la course aux marchés pour écouler les marchandises et exporter les capitaux de plus en plus âpre.

Et en effet Washington érige un nouveau rideau de fer autour de la Chine, de l’Iran et la Russie et de leurs alliés au moyen de l’infrastructure de missiles des États-Unis et de l’OTAN. Les systèmes de défense aériennes russes sont en cours de déploiement dans toute l’Eurasie, depuis l’Arménie et la Biélorussie jusqu’au Kamtchatka. Et le 13 avril 2015 un décret de Poutine annulait l’interdiction de vendre des missiles antiaériens S-300 promis à l’Iran en 2007, levant ainsi unilatéralement des sanctions contre l’Iran. Évidemment les accords du 14 juillet 2015 rendent la situation plus compliquée pour la Russie, mais le conflit interimpérialiste et la menace d’un troisième conflit mondial sont bien réels. Chaque guerre mondiale a battu les cartes pour le partage du marché mondial entre les grandes puissances. « Il n’y aura pas de paix ni au Moyen Orient ni ailleurs tant que le capitalisme règne partout en maître » (“ Il Programma Comunista ”, n°11, 1967).

Seul le prolétariat international, en s’organisant dans des organismes économiques et en suivant les directives du Parti Communiste International, pourra éviter le désastre et le chaos engendrés par les luttes interimpérialistes et tout le système basé sur les lois du Capital.