Parti Communiste International
 
Mai 2016

Les manifestations en France contre la loi El Khomri et l’attitude ambiguë de la CGT

  

Depuis des décennies, et la loi des 35 heures de 1998-2000, la question du droit du travail est régulièrement mise sur le tapis par les différents gouvernements de droite et de gauche ; plusieurs coups de ciseaux ont depuis lors largement entaillé les droits et protections des travailleurs en France et dans tous les pays industrialisés, et ceci dans un contexte de crise économique mondiale. Le Fonds monétaire international (FMI), la Banque centrale européenne (BCE) et d’autres institutions financières exigent ainsi des gouvernements des “ réformes structurelles ”, afin d’augmenter les taux de profit du capitalisme qui décroissent inéluctablement. Les mesures ont été conçues en étroite collaboration avec Berlin, et en particulier avec Peter Hartz, le social-démocrate, bureaucrate syndical et auteur des lois Hartz qui ont été imposées en Allemagne il y a dix ans pour réduire les salaires et les conditions de vie des travailleurs.

Il s’agit en gros d’attaquer les conditions de vie et de travail des salariés en facilitant les licenciements, en augmentant la “ flexibilité “ du marché du travail, en abandonnant les accords par branche et en promulguant les accords au niveau de chaque entreprise, en diminuant les protections légales et les dépenses des entreprises et de l’État en matière de protection sociale (santé, famille, retraites). Il faudrait revenir à la situation des années 1930 et effacer tous les acquis obtenus par les travailleurs au travers de formidables luttes. Tout comme dans les années 1930, la crise de l’économie capitaliste mondiale, que rien n’arrête, pousse les classes dirigeantes en France et dans le monde entier à la guerre et au militarisme, ainsi qu’à un nouvel assaut contre la classe salariée, productrice des richesses économiques.

C’est dans ce contexte que survient l’arrivée de la loi El Khomri. Il s’est d’abord agi d’un projet de loi vivant à instituer de nouvelles libertés pour les entreprises. Présenté en 2016 par la ministre du travail Myriam El Khomri au nom du gouvernement socialiste Hollande-Valls, ce projet fait suite à un rapport rédigé en janvier 2016 par une commission présidée par Robert Badinter qui préconisait une refonte du code du travail. Le 24 mai 2016 le Fonds monétaire international déclare que « la loi El Khomri constitue une autre étape nécessaire vers un marché du travail plus dynamique » !

Tandis qu’une vague de protestations grandit en Belgique, les grèves plus ou moins suivies se produisent en France dans les raffineries de pétrole, les ports, l’aviation civile, les chemins de fer, l’énergie, le transport et la construction, encadrées le plus souvent par les syndicats CGT, FO et SUD, sans provoquer pour autant une paralysie notable de l’économie. La CGT se présente comme la plus revendicative et à la tête des mouvements. Mais il est bien clair que la centrale joue son jeu funeste de pompier de la lutte des classes. Le dirigeant de la CGT Philippe Martinez reprend ainsi les revendications qui émergent spontanément parmi les travailleurs, en partie pour mieux positionner la CGT contre les autres bureaucraties syndicales concurrentes, mais surtout pour éviter une rébellion de la classe salariée et une unification radicale des luttes, tout en confinant les travailleurs dans le carcan d’une lutte nationale.

En effet, le premier syndicat de France aux dernières élections professionnelles (lors des élections professionnelles de mars 2013 - à noter que la participation des salariés à ces élections est très faible : en 2013, 5 460 000 salariés ont voté – les résultats étaient les suivants : avec 26,77 % des voix, la CGT représente le premier syndicat français ; la CFDT recueillait 26,00 % des voix, FO 15,94 %, CFE-CGC 9,43 %, CFTC 9,30 %, Unsa 4,26 %, SUD 3,47 %) voit ses troupes continuer de s’éroder (676 000 adhérents revendiqués) et risque fort d’être devancée par la CFDT début 2017 lors des prochaines élections de représentativité des syndicats. La CGT est totalement absente dans de nombreux secteurs et entreprises en développement, quand, dans ses ex-bastions (EDF, SNCF, La Poste, etc.), il peut espérer au mieux arrêter de perdre du terrain.

Depuis son élection en février 2015, le nouveau patron de la CGT Philippe Martinez, pour “ ressouder “ l’organisation en crise depuis de nombreuses années, a régulièrement appelé à des mobilisations nationales qui se sont avérées le plus souvent médiocres. Lors du 51ème Congrès le 19 avril 2016, en marge des événements, Martinez a renié la politique de rapprochement avec la CFDT promulgué part l’ancien dirigeant Bernard Thibault, enterrant la stratégie du “ syndicalisme rassemblé “.

Cette fois-ci, il prend à nouveau le train en marche du mouvement contre la loi El Khomri démarré par la mobilisation des jeunes. Mais le contenu des appels de la CGT n’est pas à une grève générale, mais à une “ généralisation ” de la grève. La CGT s’oppose en effet à une grève générale, c’est-à-dire une lutte pour mobiliser et unifier l’ensemble des mouvements.

Rappelons les faits en France.

Dévoilé le 17 février 2016, le projet El Khomri vise à réformer le Code du travail afin, selon le gouvernement « de protéger les salariés, favoriser l’embauche, et donner plus de marges de manœuvre à la négociation au sein de l’entreprise ». Le projet El Khomri s’inspire des recommandations de la Commissions européenne et de mesures similaires prises par plusieurs pays de l’UE comme l’Italie, l’Espagne et l’Allemagne de façon à assouplir les modalités de licenciements.

Dès le 18 février, une pétition en ligne demandant le retrait du projet est lancée par la militante Caroline De Haas, militante syndicaliste, associative et de l’Union nationale des étudiants de France ou UNEF ; elle atteindra le cap des 1 million de signatures le 4 mars 2016.

Dix syndicats se réunissent le 23 février (CFDT, CFE-CGC, FO, FSU, SUD, Unsa, UNL, FIDL) demandant le retrait de la barémisation des indemnités prud’homales. La CGT, FSU et l’Union Syndicale Solidaires ou SUD sont favorables à l’organisation de manifestations, de même que l’UNEF. Au sein du PS, le texte est critiqué par les frondeurs dénonçant la dérive libérale.

A la date du 3 mars, 5 centrales syndicales de travailleurs dites “ réformistes ” (CFDT, CFE-CGC, CFTC, UNSA) signent un texte commun réclamant que le projet de la loi puissent être modifié, tandis que les syndicats dits “ contestataires “ (CGT, FO, FSU) refusent d’apposer leurs signatures, réclamant le retrait total du projet de loi.

La union étudiant UNEF et la union lycéen UNL (Union nationale lycéenne) se joignent aux syndicats contestataires, alors que la union étudiant FAGE rejoint les syndicats dits réformistes. Le spectre des manifestations des jeunes de 1994 contre le contrat d’insertion professionnelle et celles de 2006 promulguées contre le contrat de première embauche CPE resurgit.

Le projet devant être présenté le 9 mars 2016 en conseil des ministres, à l’appel des organisations étudiantes (UNEF, UNL, FIDL) soutenus par la CGT, FO et Solidaires, des manifestations partout en France contre le projet de loi rassemblent entre 224 000 selon la police et 500 000 selon les syndicats (à Paris 27 000 selon la police et 100 000 selon les organisateurs). Lycéens et étudiants défilaient dans la rue en scandant “ Génération sacrifiée “  Mais rien à voir avec les grandes manifestations de 2006 qui avait jeté dans la rue 2 millions de personnes forçant le retrait du CPE.

Le 11 mars, les organisations d’étudiants et de lycéens sont reçues par le premier ministre.

Le samedi 12 mars, les syndicats CFDT, CGR-CGC, CFTC appellent à des manifestations.

Le 14 mars, après avoir rencontré les syndicats de salariés et les organisations étudiantes, le gouvernement annonce avoir modifié le texte ce que salue la CFDT, tandis que la CGT, FO et l’UNEF continuent de demander le retrait du projet.

Le 17 mars entre 69 000 et 150 000 manifestants selon les sources défilent contre le projet à l’appel de 23 organisations de jeunesse (UNEF ou Union nationale des Etudiants de France, principal union étudiant de France, avec 30 000 adhérents, UNI ; FAGE ne se joint pas au mouvement ; et des unions lycéens : FIDL ou Fédération indépendante et démocratique lycéenne, SGL, UNL ; d’autres comme les jeunes CGT, Solidaires étudiants, Génération précaire, Maison des potes, NPA jeunes, les jeunes écolos, les jeunes socialistes, les jeunes communistes, Osez le féminisme), avec blocage plus ou moins complet de lycées et d’universités. Le 24 mars, une majorité d’organisations de jeunesse appelle de nouveau à descendre dans la rue contre la Loi Travail, dans un contexte d’état d’urgence et des attentats de Bruxelles.

Le 31 mars 2016 à l’appel des syndicats de salariés et des organisations de jeunesse (CGT, FO, SUD, FSU, UNEF, FIDL, UNL), les manifestations rassemblent entre 390 000 et 1,2 million de personnes dont 200 000 jeunes dans 250 villes avec plus de 200 lycées bloqués ainsi que plusieurs universités. Des heurts entre jeunes et forces de police éclatent dans divers endroits comme Paris, Nantes, Toulouse, Grenoble et Rennes.

A la suite de la manifestation du 31 mars, beaucoup de manifestants dont une majorité de jeunes se retrouvent Place de la République à Paris pour échanger. De là naît le mouvement “ Nuit debout “ se présentant comme citoyen et pacifiste qui occupe la nuit la Place de la République à Paris, s’inspirant du mouvement des “ indignés ” espagnols et du mouvement américain contre la bourse “ Occupy Wall street ” (Occupons Wall Street, mouvement de contestation pacifique dénonçant les “ abus ” du capitalisme financier, débuté le 17 septembre 2011. Hormis les casseurs liés à des groupuscules politisés, les jeunes sont de façon évidente selon les témoignages de la presse la cible des forces des polices, ce qui augmente leur rage et leur combativité.

Le 28 avril, une nouvelle journée de manifestations voit 209 cortèges comptant entre 170 000 selon la police et 500 000 manifestants selon la CGT. Des violences ont lieu surtout à Paris et Rennes entre policiers et jeunes manifestants, sans bien savoir qui commence réellement.

Ainsi lors du défilé du 1er mai à Paris, les forces policières ont coupé le défilé au niveau du cortège regroupant de jeunes manifestants dans l’ « indifférence » du service de l’ordre de la CGT.

Le 10 mai 2016, Manuel Valls décide de recourir à l’article 49 alinéa 3 de la Constitution qui permet de faire adopter le texte sans vote.

Le 12 mai, alors que de nouvelles manifestations ont lieu contre le projet, la motion de censure déposée par des députés de tout bord reçoit l’appui de 246 députés (les partis de droite Les Républicains et UDI, Front de Gauche) mais pas des frondeurs du PS sur les 288 requises ; elle est donc rejetée ce qui entraîne l’adoption du projet de loi par l’Assemblée nationale en première lecture. Le texte doit désormais être examiné par le Sénat.

Le 13 mai, à Rennes, 300 manifestants se rassemblent et un bureau de police est attaqué par 200 “ activistes “.

La semaine du 16 au 22 mai voit plusieurs manifestations se dérouler ; le 19 mai, 128 000 à 400 000 personnes sont dans la rue et débute d’un mouvement de grève, notamment des routiers le 17 mai, des cheminots, des salariés de raffineries, des aéroports et des ports. Mais le mouvement encadré par les troupes de la CGT est peu suivi et ne provoque pas de paralysie.

Le 23 mai les blocages de raffineries et dépôts de pétrole et le fait que des automobilistes aient tendance à faire des réserves entraînent une rupture partielle de la distribution de carburant dans plusieurs stations essence ; des CRS interviennent pour débloquer la raffinerie et le dépôt de Fos sur Mer. Le 24 mai, l’ensemble des huit raffineries françaises sont perturbées par des grèves. Le 26 mai le syndicat CGT des imprimeries empêche la parution de titres de la presse nationale qui ont refusé de publier une tribune de Philippe Martinez.

Le 25 mai l’accès au dépôt de carburant de Douchy les Mines dans le Nord, bloqué depuis jeudi dernier par quelque 80 syndicalistes CGT pour la plupart et SUD pour quelques uns, a été dégagé par les forces de l’ordre.

Depuis le 12 mai, les dockers, les portuaires, les pétroliers et les cheminots sont entrés dans la danse au Havre, l’un des points les plus névralgiques de l’économie française.

L’équivalent de 5 réacteurs nucléaires sur un total de 58 a été effacé de la production nationale d’électricité depuis deux jours 25 et 26 mai, indique la CGT-énergie le 26 mai. Si ce n’est pas la première fois que des grèves dans les centrales provoquent des baisses de production, il est rare qu’elles soient décidées dans le cadre d’un mouvement social non spécifique à la situation interne de l’entreprise.

Le 26 mai, est décrété “ journée nationale ” de grèves par la CGT-FO ; à Paris, la préfecture compte 18 000 à 19 000 manifestants dans la rue, 100 000 selon les syndicats. La pénurie de carburant touche désormais plus de 20 % des stations servies et les centrales nucléaires réduisent leur production d’électricité.

Le jeudi 27 mai les manifestations donne lieu à de nouvelles violences ; à Paris deux personnes sont grièvement blessées à la tête ; à Caen un jeune homme est frappé au sol par des policiers.

Le 28 mai, les manifestations concernent entre 150 000 et 300 000 personnes et les actions de blocage se poursuivent dans les stations services, les dépôts de carburants et les centrales nucléaires. A Paris, des affrontements ont éclaté après le début de la marche Place de la Bastille lorsque des manifestants masqués se sont affrontés aux CRS. Encore une fois, les jeunes manifestants étaient placés à la tête de la manifestation, coupés des principales délégations syndicales au moment où ils entraient dans la Place de la Nation où ils ont été violemment attaqués par les forces de police. À Bordeaux, environ 100 personnes ont attaqué un poste de police et endommagé une voiture de police. A Nantes les manifestants ont cassé les fenêtres des banques tandis que les forces de sécurité ont riposté avec des gaz lacrymogènes. Dans la ville portuaire du Havre au moins 10 000 dockers et d’autres manifestants se sont rassemblés. Selon les reportages des médias, l’humeur devant l’Hôtel de Ville était houleuse. Les manifestants ont déclenché des bombes fumigènes et des feux d’artifice, la place a résonné avec des explosions. Des affiches sur les lieux portaient l’image d’une pierre tombale recouverte de sang représentant le projet de loi travail avec l’inscription : « Non amendable, non négociable : Retirer la loi El Khomri ».

Le 31 mai, au soir, à dix jours de l’Euro de football, début d’une grève illimitée à la SNCF organisée par les trois premiers syndicats (CGT, Unsa, SUD-Rail ; la CFDT après avoir signé le préavis de grève, s’en est retirée après les premières promesses du gouvernement) qui entendent peser dans la phase finale des négociations sur le temps de travail des cheminots (organisation du temps de travail plus flexible en vue de l’ouverture élargie à la concurrence à partir de 2020). La CFDT est la quatrième force syndicale à la SNCF et l’Unsa la deuxième. La CGT a de solides bastions chez les conducteurs et les contrôleurs (les deux corps de métier les plus à même de bloquer la circulation des trains). CGT-cheminots et SUD-Rail sont pour le retrait de la loi tandis que l’Unsa s’oppose uniquement au projet de réforme du statut des cheminots. La CFDT ne s’est pas associée à ces grèves, fissurant l’union syndicale SNCF.

60 % des TGV, 50 % des transiliens et 45 % des trains intercités seront en circulation selon le ministre chargé des transports. A la RATP on annonce aussi une grève mais le mouvement ne devrait pas être très suivi ; la CGT y appelle à une grève illimitée.

La prochaine grande manifestation contre la loi Travail aura lieu le 14 juin.

Et en effet, le 1er juin seul 17 % du personnel de la SNCF est déclaré gréviste pour ce premier jour de grève reconductible à l’appel de la CGT, Unsa et SUD rail ! Pas de grève sur l’ Eurostar ! Côté métros le trafic est normal, et quelques perturbations sur les lignes RER. Beaucoup de bruits pour rien.

Et là, la CGT a jeté le masque ! Dès le dimanche 30 mai, Martinez se félicitait que le Premier ministre lui ait téléphoné la veille, confirmant que la CGT poursuit des discussions en coulisse avec le PS et, malgré la vague montante de grèves, veut arriver à un accord afin d’assurer le passage de la loi. Le lundi 31 mai au soir, il affirmait, lors d’un débat de retrouvailles avec le leader de la CFDT organisé par une chaîne de radio, être prêt à “ rediscuter “ avec le gouvernement sans exiger le “ retrait ” du texte, énumérant quatre points majeurs de désaccord : l’inversion de la hiérarchie des normes avec la prééminence des accords d’entreprise sur l’organisation du travail dans l’article 2 du projet de loi ; le périmètre des licenciements économiques ; l’instauration d’un référendum en cas d’accord minoritaire ; et la réforme de la médecine du travail. Philippe Martinez a insisté sur la participation de son organisation aux négociations, rappelant qu’elle signait 85 % des accords dans les entreprises !

La tension sociale a gagné la Belgique alors que le pays connaît, mardi 31 mai, une nouvelle journée de manifestations et de grèves dans les services publics. Le mouvement, qui touche les transports en commun, les écoles ou la poste, était prévu de longue date. Il n’est que l’une des étapes dans la mobilisation organisée par les grands syndicats depuis la mise en place en 2014 de la coalition de centre-droit dirigée par le libéral francophone Charles Michel. D’autres actions, manifestations et grèves générales sont déjà planifiées pour le 24 juin et le 7 octobre.

Il est évident que l’état d’urgence mis en place en France et en Belgique peu de temps après les attentats terroristes de Paris l’an dernier ne visait pas seulement les réseaux terroristes islamiques, mais également l’opposition sociale qui se préparait.

Les travailleurs partout en Europe suivent attentivement les luttes en France, en Belgique, en Grèce, et doivent rejeter toute tentative de diviser leurs luttes selon des lignes nationales. Au contraire, ils doivent chercher à unir leurs luttes sur leur territoire et au-delà des frontières nationales. Et à cela aucune des centrales syndicales actuelles de salariés ne les y aidera ! Bien au contraire.