Parti Communiste International
 
Octobre 2019


L’INVASION TURQUE DU KURDISTAN SYRIEN ANNONCE UNE NOUVELLE RÉPARTITION ENTRE LES IMPÉRIALISMES RUSSE ET AMÉRICAIN

  

Tandis que les troupes de Bachar Al Assad, appuyées par les militaires russes et les milices iraniennes et du Hezbollah libanais, continuent de bombarder lourdement la province d’Idlib, dernière poche syrienne tenue par l’opposition et protégée par l’armée d’Ankara, des troupes turques accompagnées de brigades syriennes islamistes mercenaires, sous couvert de l’aviation, ont fait irruption le 9 octobre 2019 dans le Nord de la Syrie pour “en finir” avec l’”entité politique” du Rojava (“Occidental” en kurde pour le Kurdistan occidental), ou “Administration autonome du nord-est syrien”, accusée de soutenir la guérilla kurde du PKK dans le Sud de la Turquie, opération intitulée “source de paix” !

Et – scandale médiatique – les USA – mais aussi la Russie dont on parle moins – s’en laveraient les mains. Le YPG – que nous distinguons du reste de la population kurde, arabe et autres minorités qui vivent dans la région – a demandé l’aide de son ex-allié le régime de Damas, appuyé par les troupes russes et celles iraniennes, abandonnant ainsi la population, de toute origine et hostile au régime de Bachar, aux exactions qui vont s’abattre sur elle, qu’elles soient le fait des troupes de Damas ou de celles d’Ankara et de leurs mercenaires !

Cette invasion nous est présentée comme la manifestation de la politique expansionniste turque, avec le soutien de milices jihadistes, dans le but de se débarrasser du groupe terroriste PKK.

Le Moyen Orient depuis des siècles a été la proie de disputes incessantes entre différentes puissances régionales qui aujourd’hui sont la Turquie, l’Iran, la Syrie et l’Irak, sans oublier l’Arabie Saoudite.

Aujourd’hui le régime d’Erdoğan et de son parti islamiste doit faire face au niveau intérieur à de graves difficultés économiques et politiques : agiter sans vergogne le drapeau nationaliste contre le PKK installé en Syrie, et chercher un territoire pour ses millions de réfugiés syriens devenus “impopulaires”, pourraient être un moyen, comme si souvent il l’a été, de détourner le mécontentement social.

Cette invasion survient au moment où le président syrien Bashar al Assad, marionnette de l’impérialisme russe, a déjà reconquis une grande partie du territoire syrien, que la chute du dernier bastion de ses opposants insurgés à Idlib est proche, frustrant ainsi les rêves hégémoniques d’Ankara sur la région, et que les combattants kurdes du YPG contrôlent désormais le tiers du territoire syrien – ce qui ne plaît à aucun des belligérants – et que les deux grands impérialismes américain et russe cherchent à négocier un partage de la Syrie “à l’amiable” ; voire pour les USA un retrait de la zone.

M. Erdoğan, dont le pays appartient à l’OTAN donc au camp militaire US, entretient depuis 2016 des rapports étroits également avec la Russie qui lui fournit des armes, des centrales nucléaires, des installations pour un gazoduc. Et il se méfie de l’ "ami” américain qu’il accuse d’avoir participé à la tentative de coup d’État de l’été 2016.

Les Kurdes syriens par leur emprise sur un tiers du territoire sont devenus gênants, non seulement pour la Turquie, mais aussi pour les Américains et pour les Russes.

Mais il faudra bien arrêter Erdoğan dans son élan ! Quelles miettes du gâteau kurde syrien lui donnera-t-on ?


La question kurde et le PKK

Les populations kurdes syriennes occupent historiquement trois zones à majorité kurde le long de la frontière turque: celle d’Afrine au nord-ouest, aujourd’hui aux mains des troupes turques, celle de Kobané et celle de Qamichli, à l’extrême Nord-Est où se trouvent une partie des ressources d’hydrocarbures de Syrie, et qui est en continuation avec les territoires kurdes de Turquie et d’Irak.

L’histoire des groupes kurdes, répartis sur quatre pays malgré les promesses du traité de Sèvres en 1920, nous montre comment ils furent instrumentalisés par les bourgeoisies régionales concurrentes, la Syrie, l’Irak, l’Iran et la Turquie.

Ainsi la Syrie d’Assad a soutenu, financé, armé et entraîné les rebelles kurdes de Turquie, ceux du PKK de 1981 à 1998, pour lui servir de moyen de pression sur son rival turc. Lors de la guerre civile de 2011, les protestations gagnaient aussi les zones kurdes, mais Bachar Al Assad octroyait alors une certaine autonomie à la région avec une tolérance vis à vis du groupe politique kurde minoritaire dans la région, le PYD (Parti de l’Union démocratique), branche syrienne du Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) en guerre avec l’État turc, en libérant de nombreux militants emprisonnés, et en retirant en 2012 ses forces du Kurdistan syrien (renforçant ainsi son front contre la guerre civile dans les autres territoires). Il laissait ainsi la place libre au PYD et à sa branche armée, les YPG (unités de protection du peuple).

De leur côté – il est utile de le rappeler aujourd’hui – les miliciens de l’YPG réprimaient les manifestations et formations kurdes, soit les centres d’opposition au régime de Damas dans les villes et villages, en parfait accord avec Assad et ses alliés russe et iranien ! En reconquérant l’Est de l’Euphrate à l’État islamique les troupes du YPG se retrouvaient maître d’un territoire riche en hydrocarbures (autour de la ville de Deir Ez Dor, à l’est de Qamishli et de Al Hasakah, soit les 2/3 des ressources pétrolières syriennes), en produits agricoles (vastes terres agricoles au nord-est le long de l’Euphrate soit 52% du blé syrien et 79% du coton, mais très endommagées par la guerre), et en infrastructures énergétiques (3 des 4 des barrages hydroélectriques syriens, mais ils sont en mauvais état ; de plus la Turquie contrôle en amont le débit de l’Euphrate vers la Syrie). La survie économique de la région dépend ainsi du régime syrien puisque les Kurdes exploitent le pétrole de la région qu’ils vendent à Damas, et produisent du blé qu’ils vendent pour une partie aussi à Damas !

Le Parti des Travailleurs du Kurdistan (PKK) est la tendance politique dominante de la bourgeoisie nationaliste kurde dans le Kurdistan septentrionale, c’est-à-dire turc. Dans celui occidental et syrien, c’est le Parti de l’Unité Démocratique ou PYD, branche du PKK, qui est présent mais de façon minoritaire, tandis qu’une autre branche existe également en Iran. Abdullah Öçalan, emprisonné en Turquie depuis 1999, est le théoricien du PKK depuis 1978, réclamant l’indépendance pour les Kurdes dans un État démocratique et socialiste et lance la lutte armée en Turquie en 1984. Lutte qui atteindra son apogée dans les années 1990.

A partir de 1999, le PKK abandonne toute référence au marxisme-léninisme et ses revendications nationalistes, pour une forme d’autonomie au sein d’un projet de confédération démocratique ne remettant pas en cause les frontières étatiques existantes. Il définit une démocratie participative, proche du municipalisme libertaire, une coopération paritaire entre homme et femme, la multi ethnicité dans des systèmes autogérés, selon les principes édictés par le municipalisme libertaire et écologique de l’américain Murray Bookchin. Le Rojava reprendra cette idéologie en insistant sur la situation des femmes. Malgré tout, le PKK est considéré comme une organisation terroriste par la majorité des pays et par l’Union européenne.

Dans le Kurdistan irakien, l’impérialisme américain a réussi à organiser une autonomie kurde sous la tutelle du Parti Démocratique du Kurdistan mené par le clan Barzani et reposant sur le clientélisme et la corruption, et celui de l’Union Patriotique du Kurdistan de Talabani d’orientation social démocrate. Ce Kurdistan irakien riche en ressources naturelles commerce allègrement avec les sociétés turques et iraniennes, vendant ainsi le pétrole de la zone à ces deux pays. On connaît d’autre part les hostilités qui existent entre les partis irakiens kurdes et le PKK dont l’état major est installé au nord de l’Irak dans les montagnes de Qandil au grand dam du gouvernement turc.


L’invasion turque d’octobre 2019

A partir de mars 2013, les transferts de combattants et surtout de cadres du PKK en provenance de Turquie ou du nord irakien vont se multiplier en raison des accords conclus entre le pouvoir turque et la guérilla du PKK. Un accord est ainsi signé officiellement à l’été 2013 avec le pouvoir d’Erdoğan et le leader du PYD pour un arrêt de la lutte armée en Turquie et un retrait des combattants du PKK hors du territoire turc. Une bonne partie des combattants des YPG (une bonne moitié selon certains auteurs) en Syrie sont venus de Turquie. Ce n’est donc un secret pour personne que le PKK, considéré comme une organisation terroriste par un très grand nombre de pays dont les pays occidentaux, encadre les YPG et forme même un bon contingent de ces troupes ! Quand il s’agit de chercher des associés pour faire du “business”, comme savent le faire les bourgeois, on n’y regarde plus de trop près.

Le PYD qui reçoit aussi une certaine protection de la Russie proclame en 2014 la Constitution du Rojava avec sa propre administration, tandis que l’État islamique commence son incursion dans la région.

L’hiver 2013-14 voient la montée en puissance sur le théâtre syrien de l’organisation État Islamique qui englobe un tiers de l’Irak et de la Syrie, et en septembre 2014, les troupes de l’EI lancent une offensive d’importance en Syrie sur la ville kurde de Kobané, sur la frontière turco-syrienne. La résistance acharnée et victorieuse des kurdes des YPG, du PKK et des peshmergas kurdes irakiens contre l’État islamique lors de la bataille de Kobané en septembre 2014 - janvier 2015, aidée par des groupes syriens arabes et surtout par les forces militaires de la coalition menée par les USA avec ses bombardiers et son matériel de localisation des positions djihadistes, marque une étape cruciale dans la lutte contre Daesch.

Dès octobre 2014 l’alliance militaire de l’armée US avec le PYD est officialisée, alors que le PKK figure au rayon des “terroristes”. Mais au sol les soldats ne sont pas américains : “No boots on the ground” est le slogan du cabinet Obama en 2014-2015 !

C’est aussi avec la bataille de Kobané que les relations des Kurdes syriens avec la Turquie vont à nouveau se détériorer. L’armée turque restera inactive sur sa frontière face à Kobané malgré son ralliement à la coalition anti-EI, et le 2 octobre 2014, en raison de son hostilité aux troupes du YPD et du PKK, elle réclame la mise en place d’une zone tampon en territoire syrien, refusant d’établir un corridor permettant aux forces kurdes de recevoir des renforts, tout en permettant aux USA en octobre 2014 d’utiliser ses bases aériennes.

Durant l’année 2015, le partenariat kurdo-américain avec l’aviation occidentale va s’accélérer dans la lutte pour repousser l’EI, permettant aux forces du YPG de récupérer des zones non majoritairement kurdes, ce qui ne plaît pas du tout à Ankara, qui, pour des motifs de politique intérieure, a relancé sa guerre contre le PKK au printemps 2015. En effet aux législatives de juin 2015, le petit parti pro-kurde de Turquie, légal, le HDP passe pour la première fois dans le pays le seuil des 10% et siège donc au Parlement avec 80 députés, faisant perdre sa majorité à l’AKP, le parti islamiste d’Erdoğan (au pouvoir depuis 2002). Ce dernier joue donc la carte de l’ultra nationalisme et relance la guerre contre le PKK en attaquant les bases arrières irakiennes du PKK, retrouvant ainsi la majorité avec des voix de l’extrême droite à l’Assemblée ! Le PKK de son côté réinvestit des agglomérations kurdes en Turquie ; des combats violents se produisent avec l’armée turque durant des mois avec des centaines de victimes civiles.

La création des FDS (alliance des troupes kurdes du PYD, Parti de l’Union Démocratique, avec des brigades syriennes arabes et assyriennes, des forces tribales et des chrétiens) est impulsée par les USA en octobre 2015 de façon à intégrer les populations non kurdes de la zone contrôlée par les YPD dans la lutte anti Daesch ; les YPG en demeurent le contingent le plus important, mais ils acceptent certaines tribus arabes qui s’étaient précédemment associées à Daesch, les alliances et leurs retournement se faisant selon les “nécessités” de la guerre. En 2015-2016, ces FDS sont les seules forces qui affrontent les djihadistes de l’EI en Syrie et lui grignotent son territoire avec l’appui des avions de la coalition internationale, et des contingents de 2 000 soldats américains, 200 Français et autant de Britanniques. En 2016, les YPG ont combattu avec le soutien aérien russe aux côtés de l’armée syrienne, contre les rebelles opposés au régime à Menagh, Tell Rifaat et Zalep.

Près d’un tiers du territoire syrien fin 2017 est passé sous la coupe des FDS dont l’essentiel des régions productrices d’hydrocarbures comme Deir Ez Zor, et elles y mettent en œuvre leurs principes de “communalisme démocratique” !

Alors que l’expérience politique présentée comme “autogestionnaire” et multiethnique menée au Rojava est acclamée par une bonne partie de la “gauche” occidentale, il est utile de rappeler que l’autonomie de cette région ne découle pas d’un soulèvement mais d’un accord conclu en 2011 entre le régime de Bachar et le PYD afin de mâter les forces kurdes et arabes qui s’opposaient au dictateur. Puis, en 2015, dans un contexte d’expansion de l’EI et de répression féroce de l’insurrection syrienne de 2011, les YPG ont pactisé d’une part avec les États Unis dans la lutte contre Daesch, et avec la Russie contre la rébellion syrienne d’autre part !

En décembre 2016, le Rojava proclame une constitution et la création d’une région fédérale, rejetée par le régime syrien, les USA et la Turquie.

En août 2016 Ankara lance sa première opération militaire en Syrie menée avec les rebelles syriens anti-Assad – qui deviendront vite des mercenaires férocement anti-kurde à la solde de la Turquie – soutenue par les forces de la coalition internationale (renseignement, surveillance, reconnaissance) avec le prétexte d’attaquer les dernières positions de l’EI sur la frontière turco-syrienne, à Djarabulus (gouvernorat d’Alep), et, affirme officiellement Erdoğan, l’opération est lancée contre le PYD afin de couper ainsi toute velléité kurde de s’emparer de cette portion du territoire syrien qui offrirait aux Kurdes du Rojava une continuité territoriale.

Le 20 janvier 2018, l’armée turque et les rebelles syriens de l’Armée syrienne Libre lance une offensive cette fois directement contre les forces kurdes des YPG sur le canton d’Afrine, canton kurde syrien, que les YPG contrôlent depuis 2012, de façon isolée (sans disposer de l’appui de forces occidentales) à part un minuscule contingent russe, dans une opération intitulée “Rameau d’olivier” (sic). Erdoğan négocie avec Poutine le retrait de ses hommes et la non intervention de ses puissantes batteries de missiles anti-aériens, avant de lancer son offensive sur Afrine. C’est ainsi que les gouvernements “amis”, américain et russe, du YPG, “laissent faire” l’opération contre les kurdes.

L’expédition turque d’octobre 2019 n’est donc pas une première dans la trahison envers les Kurdes syriens !

En mars 2018, les YPG renoncent à défendre Afrine et l’évacuent, abandonnant la population aux exactions des mercenaires turcs qui persistent jusqu’à aujourd’hui.

Erdoğan réclame aussitôt la possibilité d’attaquer la totalité du Rojava, d’obtenir une zone tampon de plusieurs dizaines de km de profondeur d’où serait éradiquée toute présence des YPG et d’y implanter les réfugiés syriens dans une volonté évidente de procéder à un remplacement de population sur une base ethnique ! Mais ses partenaires russe et US le retiennent par la manche.


La reconquête de Bachar Al Assad

Après l’occupation turque d’Afrine en mars 2018, la Turquie rongeait donc son frein, attendant d’autres signaux pour s’attaquer au reste du territoire syrien contrôlé par les autonomistes kurdes avec l’appui des alliés américains d’alors. Les discussions “secrètes” devaient aller bon train entre les puissants antagonistes russe et américain et l’allié turc !

L’administration Trump, qui avait soutenu les Forces démocratiques Syriennes contre l’envahissant État Islamique, ou Daesch, s’opposait alors, du moins en paroles, à la conquête turque d’Afrine, et acceptait en août 2018 en contre-partie à ses alliés dans l’OTAN une zone tampon, la “safe zone”, un “corridor de la paix” pour les militaires turcs, le long de la frontière turco-syrienne de 30 km de profondeur prédominant dans le territoire kurde syrien, cogérée par Ankara et Washington qui assurait encore leurs “alliés” kurdes que ce corridor leur servirait à eux aussi de protection contre leur ennemi turc. La direction kurde acceptait ainsi de démanteler ses fortifications à la frontière et de retirer ses armes lourdes, dégarnissant ainsi leur protection édifiée depuis plusieurs années.

Or le 14 décembre 2018, le trublion Trump, continuant en cela la politique de son prédécesseur, l’élégant Obama, faisait connaître bruyamment au monde entier, provoquant une hypocrite “surprise générale” le projet US de retrait des forces américaines de Syrie, et donc celui d’annihiler le rempart que formaient ses troupes pour le Rojava contre une potentielle offensive turque ; puis devant les clameurs hypocrites de ses détracteurs, des diplomates étrangers, de certains de ses généraux et du tollé qu’il provoqua dans son propre rang, il pondérait l’annonce.

M. Trump a le mérite de s’exprimer avec une grande sincérité, mais trop vite et sans préparer “l’opinion”, et ses partenaires... c’est un business man qui n’a pas appris les “belles manières de l’école des démocrates” comme Mr Obama ! Il fallait dire “retrait progressif” et non “immédiat” évidemment, M. Trump.

De leur côté, les Kurdes du PYD avaient bien compris le message et multipliaient les prises de contact avec les Russes et le régime de Bachar, ennemi mortel de toute pénétration turque.

Comme les troupes US tardaient à organiser ce “corridor de la paix”, il est bien clair que le scénario fut le suivant : le président turc le 6 octobre 2019 proposait à Trump de lui laisser faire “la sale besogne” et donc de protéger en les retirant de la zone frontalière les soldats américains. Nouvelles clameurs hypocrites contre les déclarations de Trump qui se vit ainsi obliger d’y mettre un peu plus d’élégance diplomatique et laisser porter le chapeau de l’entreprise à Erdoğan en le menaçant de mesures de rétorsion le 7 octobre, tandis que les blindés américains se retiraient de la zone frontalière ; le 8 la Turquie fut expulsée du centre des opérations aériennes conjointes de la Coalition internationale en Syrie, grevant fortement sa capacité aérienne.

Le 9 octobre dernier, à un an et demi de la prise d’Afrine, le gouvernement Erdoğan intervenait avec ses troupes et celles de milices arabo-syriennes, islamistes de l’Armée Syrienne Libre, connues pour leur férocité et leur haine anti kurde, pour imposer, affirme-t-il, la “zone tampon” en pilonnant des villes du Nord-Est de la Syrie.

Le gouvernement US, après avoir garanti le temps d’une alliance – précaire – une protections aux forces kurdes, avait ainsi accepté de livrer ce territoire à la Turquie, tout en assurant au monde scandalisé par cette “traîtrise”, que ses troupes, écartées de la “zone tampon”, demeuraient tout de même sur le terrain !

Les troupes kurdes, quant à elles, se retrouvaient bel et bien abandonnées à leur sort, d’autant que cette fois elles se battaient non sur un terrain montagneux dont elles sont familières, mais sur de vastes plaines sans obstacles naturels pour entraver l’avancée turque. L’offensive turque provoquait la fuite de centaines de milliers de personnes (le 16 octobre, le chiffre de 300 000 était annoncé), kurdes et arabes, vers l’est du pays et la frontière irakienne.

Et ne parlons pas de la fuite vers l’Irak des ONG, expertes en soin aux réfugiés, et des journalistes étrangers devant l’arrivée des féroces troupes d’Assad qui, répondant aussitôt à l’appel kurde, se mettaient en mouvement vers le nord ouest et le nord-est du pays à Manbij et Tell Amer. On annonçait déjà un nouveau désastre humanitaire pour ces réfugiés. L’affrontement semblait inévitable entre les forces turques et les troupes d’Assad à Manbij, sur la frontière turco-syrienne.

Mais nos grands impérialistes agirent bien vite. Le 15 octobre depuis Abou Dhabi, le président russe qui avait lui aussi laissé passer les troupes turques le 9 octobre, faisait savoir à Erdoğan que des affrontements à Manbij entre l’armée turque et les troupes de Damas appelées à l’aide par les combattants kurdes, étaient “inacceptables” ; Erdoğan s’inclinait. Un coup de maître. Les bases américaines du Nord de la Syrie se vidaient progressivement. Les Américains passaient la main aux Russes !

Le 17 octobre, le vice-président américain Mike Pence à Ankara arrachait un accord qui prévoyait la suspension de 5 jours de l’offensive turque dans le nord-est de la Syrie pour permettre aux forces kurdes des YPG de se retirer complètement de la bande de 30 km qu’Erdoğan réclamait, mais l’accord restait flou sur la longueur de la bande (Erdoğan réclamait 480 km de frontière). Et les troupes kurdes acceptaient l’injonction et commençaient leur retrait, ponctué d’épisodes de combats et de bombardements. Le retour du régime syrien dans les villes que le PYD remettait à l’armée syrienne est une perspective terrifiante pour nombre d’habitants, arabes, kurdes et autres minorités, connus pour avoir participé au soulèvement contre Assad.

Le 22 octobre, M. Poutine réussissait à “moduler” les exigences turques. Le tête à tête des présidents Poutine et Erdoğan à Sotchi, ville balnéaire russe du littoral de la mer noire, se concluait par un accord : l’arrêt de l’offensive turque avec le retrait des combattants kurdes YPG et de leurs armés d’ici le 29 octobre sur une profondeur de 32 km et une zone de contrôle par les forces syriennes et russes de toute la frontière à l’exception des 120 km dont la Turquie s’est emparée entre Ras al Aïn et Tall Abyad. Les troupes russes et turques mèneront des patrouilles communes à l’est et à l’ouest de la zone contrôlée par la Turquie sur une profondeur de 10 km. Poutine a ainsi “convaincu” Erdoğan de la conservation de l’intégrité du territoire syrien et du régime de Bachar.

Le retour des réfugiés syriens est évoqué en termes très vagues : “sur la base du volontariat”, mais Erdoğan a accepté la possibilité de discussions directes avec Damas... qui traite encore le président turc de “voleur de territoire syrien”. Des cadeaux ont dû être certainement promis à Erdoğan (gazoduc, centrales nucléaires et armes) mais évidemment nous n’en connaissons pas la teneur. Reste aussi à convaincre l’Arabie Saoudite car cette victoire de Poutine semble favoriser l’autre puissance régionale, l’Iran, alliée de Bachar.

Aucun État bourgeois dans le monde, à l’exception du Pakistan, du Venézuela, du Qatar et de l’Azerbaijan, tous en “affaires” avec la Turquie, n’ont soutenu “ouvertement” l’intervention turque ; tous ont protesté à qui mieux mieux, crié à la trahison du peuple kurde – une trahison parmi tant d’autres ! – mais tous ont “laissé faire”. Le jeu d’échec n’est en effet que dans les mains des grands impérialistes qui utilisent encore une fois le jeu sournois de la diplomatie et mettent à la manœuvre les petits et tout petits pions.

L’Union Européenne affirme son opposition, tandis que la Turquie, puissance régionale importante et nécessaire à l’OTAN, menace d’offrir aux millions de réfugiés syriens de son territoire la possibilité de gagner librement l’Europe qui lui a “commandité” par le biais d’indemnités de toutes sortes l’édification d’un barrage aux migrants vers l’Ouest !

Il semble bien que ce qui terrorise tout autant les Européens, ce ne sont pas les souffrances supplémentaires que vont connaître les populations civiles syriennes, mais les milliers de djihadistes étrangers enfermés au nord-est du Kurdistan syrien que les Européens avaient “confié” aux Kurdes et que l’offensive turque et l’abandon des gardiens kurdes pourraient délivrer, permettant ainsi le réveil des cellules dormantes de Daesch et le retour de djihadistes sur leur territoire national...

Trump, pour échapper au lynchage médiatique de ses annonces de retrait, s’est empressé de le rappeler aux bourgeoisies européennes qui ne veulent pas s’occuper elles-mêmes de leurs concitoyens ! Le ministre des affaires étrangères français, M. Le Drian, s’est précipité dès le 16 octobre à Bagdad pour obtenir le jugement en Irak des ressortissants français ayant combattu aux côtés de Daesch et détenus en Syrie, renonçant aux garanties du droit français (dont l’abolition de la peine de mort, si chère à nos démocrates), mais le marchandage – surtout financier – est ardu avec les autorités irakiennes !

Des puissances locales, historiquement hostiles à toute hégémonie turque, comme l’Arabie Saoudite, l’Iran, l’Égypte, l’Irak et évidemment le gouvernement syrien d’Assad, ont condamné l’entreprise et la Ligue arabe s’est également alignée sur cette position.

Pour les États-Unis, et le “franc parler” de M. Trump, les Forces Démocratiques Syriennes n’ont été qu’un simple allié tactique de l’impérialisme US dans sa lutte contre l’État islamique, tandis que la Turquie, membre de l’OTAN, est un partenaire stratégique à long terme, surtout quand il pactise régulièrement avec la Russie. Même si la Turquie et les milices arabes pro-turques devaient parvenir à la destruction complète des Forces Démocratiques Syriennes, les États Unis resteraient à la table des négociations, par l’intermédiaire cette fois de la Russie.

Quant à l’État russe, soutien inconditionnel d’Assad, mais jouant alternativement avec les pions kurdes du PKK et celui de la Turquie d’Erdoğan, il observe attentivement la situation actuelle, négocie à tour de bras avec toutes les parties, et agit matériellement, comptant non seulement sur un renforcement du régime syrien, mais aussi sur la présence de ses militaires sur le terrain. Le gouvernement de Moscou a exprimé sa volonté de travailler pour un accord entre les Forces Démocratiques Syriennes kurdes et le régime de Assad. Mais c’est la population civile du Kurdistan syrien qui va en payer le prix !

Il s’agit bien là du retour du pouvoir central syrien dans les zones kurdes. Il est bien clair que jamais Assad, ni la diplomatie russe et américaine, n’accepteront une autonomie kurde en Syrie du type de celle obtenue par l’impérialisme US en Irak.

Car il faut en finir avec la fameuse fausse “utopie” du Rojava !


La bonne entente russo-américaine

Nous assistons actuellement à un repartage du Moyen Orient, voire même une alliance, entre les deux impérialistes que sont la Russie, puissance moyenne, et les USA, encore jusqu’à ce jour le plus puissant pays impérialiste au niveau militaire et économique du monde, pour le partage du Moyen Orient. Les USA laissent la place à la Russie pour le contrôle du pays en retirant ses troupes de Syrie, menaçant aussi de les retirer d’Irak, ce qui devrait faire craindre à M. Barzani un avenir très sombre. La bourgeoisie américaine semble rassembler ses forces sur le Pacifique où sévit son principal concurrent au niveau mondial, l’impérialisme chinois.

Quant à la Russie, après son recul en Libye, en Afghanistan, et dans les Balkans, elle élargit son périmètre d’influence et assure la sécurité de ses marchés : après ses actions en Crimée et au Donbass ukrainien, elle joue de la carotte et du bâton – comme tout impérialisme – en Turquie (la carotte de l’énergie du nucléaire et du gaz avec la construction du gazoduc Turkish Stream et de centrales nucléaires ; sans parler des armes), en Arabie Saoudite, en Israël, en Iran.

Le Parti Communiste International exhorte le prolétariat syrien, sans distinction d’origine ethnique ou religieuse, à l’abandon de toute revendication nationale ou régionale, qui le sépare de ses frères prolétaires persécutés en Syrie et dans les autres pays du Moyen Orient, à la solidarité internationale de la classe prolétarienne, à la reconstruction de ses organisations de classe, à la lutte contre toutes ses bourgeoisies, toutes ces formations islamistes ou mercenaires, viscéralement liées au régime assassin du mode de production capitaliste.