Parti Communiste International

 

DE L’ÉCONOME CAPITALISTE AU COMMUNISME

Conférence tenue à Milan le 2 juillet 1921

Librairie Éditrice du Parti Communiste d’Italie, Casa del Popolo, Roma

 

Introduction 2016

Le capitalisme et sa nature
L’évolution du régime capitaliste
La crise finale de la société bourgeoise
Les concepts erronés de la révolution économique
La tâche économique de l’État prolétarien dans l’industrie
Le contrôle ouvrier
La socialisation
La révolution et l’économie agraire
L’évolution de l’économie agraire
Le rude chemin de la victoire prolétarienne

 

INTRODUCTION 2016

Ce discours a été prononcé en 1921 lors d’un meeting ouvrier à Milan. Nous le ressortons car il est doublement d’actualité ; il traite du passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste, et en particuliers des mesures que sera amené à prendre la dictature du prolétariat pour conduire l’humanité vers le communisme.

Le mode de production capitaliste, en prolétarisant les petits producteurs – paysans et artisans – et en remplaçant leur production parcellaire et éparpillée par la production collective et centralisée des grandes entreprises industrielles, qui s’appuie sur les derniers progrès scientifiques et techniques, socialise les forces productives. Ce faisant le mode de production capitaliste développe les bases économiques du mode de production communiste, le rendant à la fois possible et nécessaire. Nécessaire, car le contraste entre la socialisation croissante des forces productives et l’appropriation qui reste privée conduit à des crises de surproduction récurrentes.

Depuis l’apparition des monopoles à la fin du XIX siècle (vers 1880 en Angleterre, en Allemagne, en France et aux États-Unis), les conditions économiques pour le passage à la société communiste étaient suffisamment mûres en Europe de l’Ouest et aux États-Unis au tournant du XX siècle. Et aujourd’hui leur maturité est telle, que la société bourgeoise en Occident est en pleine putréfaction.

Nous disions plus haut que la contradiction entre la socialisation des forces productrices et l’appropriation privée conduit à des crises cycliques de surproduction. Cependant toutes les crises de surproduction ne sont pas pour autant des crises historiques. Depuis le milieu du XIX siècle seules trois grandes crises historiques, posant le problème de la prise du pouvoir par le Prolétariat, se sont présentées : la grande crise européenne de 1848, où à la suite de la révolution bourgeoise de février en France, le prolétariat français a tenté de prendre le pouvoir ; la Commune de Paris, mais qui fut un assaut au ciel, car le prolétariat parisien était immature sur le plan théorique et programmatique, et les années vingts, à la suite de la glorieuse Révolution russe.

Tous les camarades de ces années révolutionnaires voyaient la révolution communiste comme imminente en Europe, d’où ce discours sur le passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste et aux mesures économiques et politiques que doit prendre l’État prolétarien pour à la fois en hâter le passage et en assurer la réussite. Mesures qui dépendent du niveau de développement atteint par les forces productives et qui varient d’un pays à l’autre et plus encore d’un continent ou d’un semi-continent à l’autre.

Une autre échéance historique s’est présentée avec la grande crise de surproduction des années trente. Cependant, le reflux révolutionnaire au milieu des années vingts, la tactique désastreuse du front unique politique de l’Internationale, qui loin de renforcer les Parti Communistes, les a au contraire affaiblis en entretenant la confusion et en permettant le développement de tout un courant opportuniste, puis la contre-révolution qui en est résultée en Russie, a conduit au triomphe de la contre-révolution. Ce qui fait que le prolétariat n’a pas pu saisir cette nouvelle opportunité.

Aujourd’hui une nouvelle échéance va se présenter : nous sommes à la veille d’une grande crise historique qui va de nouveau poser le problème du renversement de la bourgeoisie et de la prise du pouvoir révolutionnaire par le Prolétariat.

La deuxième guerre mondiale a permis au capitalisme mondial de sortir de la crise des années trente et de recommencer tout un cycle d’accumulation du capital avec des crises de surproduction qui ne dépassaient pas les limites nationales et qui se trouvaient surtout limitées aux pays impérialistes qui n’avaient presque pas connu de destruction durant la guerre, c’est-à-dire essentiellement les États-Unis et le Royaume-Uni. Depuis 1973 cette période est définitivement close, et le capitalisme mondial va de crise de surproduction en crise de surproduction avec des cycles qui varient de 7 à 10 ans.

Le formidable essor du capitalisme en Chine durant ces trente dernières années a permis à l’impérialisme occidental et japonnais d’éviter une crise historique comparable à la grande crise des années trente. Or toutes les conditions sont maintenant réunies pour une grave crise de surproduction en Chine dont les premiers signes se manifestent par un ralentissement global de la production industrielle et une chute de la production dans l’industrie lourde – la section I du capital, celle qui produit les moyens de production et les matières premières nécessaires à l’industrie des moyens de consommation.

La combinaison de la crise de surproduction en Chine, et de façon plus générale dans les pays en développement comme le Brésil et l’Inde, avec la crise de surproduction aux États-Unis, en Europe, au Japon et en Corée conduira à une terrible crise avec déflation qui verra l’effondrement, non seulement de la production industrielle, mais aussi agricole et du système financier mondial. Crise qui entraînera la faillite de nombreux États, comme cela est arrivé durant la crise de 2008-2009 avec la faillite de la Grèce, du Portugal et de l’Irlande.

Tout comme la pression des gaz se rit de toute résistance lorsque la température continue de monter, de même avec l’aggravation de la crise, aucune contre mesure bancaire ne pourra arrêter la déflation. Les mesures prises par les banques centrales seront alors non seulement inopérantes, mais entraîneront la faillite de nombreuses banques. Car les moyens de payements utilisés par les banques centrales ne leurs appartiennent pas, mais sont la propriété des banques commerciales qui déposent leurs titres auprès des banques centrales. Les milliards d’obligations achetés par les banques centrales, pour éviter la déflation et relancer l’activité économique par le crédit, se trouveront dévalués, entraînant par ricochet la faillite de nombreuses banques commerciales.

La dévalorisation des titres s’exprime déjà aujourd’hui par des intérêts négatifs. Plus de 10 000 milliards d’euros de dettes publiques s’échangent désormais à des taux négatif. Ce qui veut dire que les institutions financières payent pour prêter de l’argent à l’État allemand, japonais, etc... et bientôt français, indiquant par là que leurs titres sont de facto sur-évalués, annonçant ainsi la prochaine étape, la forte dévalorisation des titres de toutes sortes.

Sans avoir besoin de lire dans une boule de cristal, en se basant simplement sur la durée des cycles et en étudiant le cours du capitalisme mondial, l’on peut prévoir le début de cette grande crise historique dans un avenir assez proche.

Cette nouvelle échéance va reposer le problème de la prise du pouvoir par le Prolétariat et du passage du mode de production capitaliste au mode de production communiste.

La contre-révolution a balayé toutes les organisations prolétariennes, elle a substitué la concurrence à la solidarité entre travailleurs, elle a mis dans les têtes une terrible confusion. Quasiment tout est à reconstruire, à retrouver ! Seule une toute petite minorité, malgré l’état d’abrutissement général, a su maintenir vivant jusqu’à nos jour le fil programmatique et théorique qui va du Manifeste du Parti communiste de 1848, à la Révolution russe d’octobre 1917, à la fondation du Parti communiste italien à Livourne en 1921 et à la fondation du Parti Communiste International dans l’après guerre en 1946.

Cependant tout n’est pas noir. Malgré la contre-révolution, la terre a continué de tourner. Le capitalisme a fait le tour de la terre et avec lui, les peuples de couleur ont fait leur révolution bourgeoise, permettant un développement considérable des forces productives dans ces continents, surtout en Asie. Dans les vieux pays impérialistes, l’accumulation frénétique du capital dans cet après guerre a poussé la socialisation des forces productives à un niveau sans précédents, rendant encore bien plus facile le passage à la société communiste. La paysannerie qui dans les années vingt représentait, dans des pays comme la France ou l’Italie, près de la moitié de la population active, en représente aujourd’hui en moyenne moins de 3 %. Si bien que la Révolution Communiste qui surgira de cette crise historique sera bien plus internationale et vigoureuse.

Malheur à nous si le prolétariat européen devait échouer une nouvelle fois ; une inévitable troisième guerre mondiale aura lieu. Elle verra s’affronter deux blocs monstrueux avec à leur tête d’un côté les États-Unis et de l’autre la Chine, avec pour théâtre l’Europe, l’Asie, l’Afrique et le continent américain. Kissinger, en cas de troisième guerre mondiale, prophétisait 500 millions de morts, mais l’on peut doubler ce chiffre.

L’un des principaux contendants, la Chine, n’est pas prêt. L’impérialisme chinois se trouve, vis à vis des États-Unis, dans la même position que ces derniers occupaient par rapport à l’Angleterre au début du 20° siècle. Au niveau de l’industrie lourde, le capitalisme chinois a rattrapé et même dépassé dans certains secteurs – acier, ciment, électricité, etc... – non seulement globalement, mais même par habitant, la production américaine. Cependant la Chine présente un retard marqué sur le plan technologique et militaire qu’elle s’active à rattraper. En attendant la bourgeoisie chinoise, qui se prépare à prendre la place des États-Unis, pousse ses pions et avance ses prétentions sur le plan géostratégique, notamment en revendiquant toute la mer de chine, en exigeant des autres riverains qu’ils déposent une demande d’autorisation avant toute traversée de ces même eaux, et en encerclant méticuleusement l’Inde, en établissant des bases maritimes et militaires dans l’île de Ceylan et au Pakistan, sans parler du Tibet qui surplombe l’Inde. Dans le même temps, elle entreprend un grand effort de modernisation et de transformation de son armée, qui, jusqu’à là, était organisée en vue de la défense du territoire et non pas pour une intervention extérieure.

On aura donc avec forte probabilité, d’abord une crise de surproduction qui dépassera en intensité celle de 1929 et qui ramènera au premier plan la lutte de classe entre prolétariat et bourgeoisie, puis se présentera l’alternative 3ème guerre mondiale ou révolution communiste internationale.

Les conditions objectives que nous venons de décrire rendent possible la révolution en poussant le prolétariat à l’affrontement avec la bourgeoisie et en permettant la formation d’une avant garde au sein du prolétariat qui retrouvera le programme et la théorie communiste. La condition subjective, c’est-à-dire l’existence d’un parti communiste ayant acquis une influence décisive au sein du prolétariat, au travers de tout un réseau centralisé, sous sa direction, d’organismes de défenses des intérêts immédiats du prolétariat – ce que l’on appelle des syndicats –, est un préalable à tout renversement de la bourgeoisie et à toute prise du pouvoir.

L’existence de cette petite minorité dont on a parlé plus haut, ne pourra que favoriser et accélérer ce processus de constitution en classe – et donc de surgissement et de formation d’un grand parti communiste international – du Prolétariat. C’est seulement alors, parce que les grande masses du prolétariat deviendront réceptif à la propagande du Parti, que pourra se former un grand Parti Communiste international profondément enraciné dans le prolétariat. Lequel à son tour encouragera la formation de syndicats de classe et cherchera à les unifier et à les centraliser à l’échelle nationale et internationale.

Évidemment, un tel processus ne sera pas linéaire, il sera marqué d’avancées et de reculs et exigera le déploiement d’une énergie considérable de la part de cette avant garde organisée en parti afin de gagner les grandes masses à la cause du communisme et en vue de renverser la bourgeoisie. Et une partie de l’activité et de la propagande du Parti sera probablement clandestine, car l’on peut compter sur notre très démocratique bourgeoisie, post-fasciste, pour nous accuser de terrorisme et nous interdire. Mais il est arrivé, souvent dans le passé, que c’est dans l’illégalité que le Parti s’est le mieux développé.

Si cette période de tumultes sera source de souffrance, de larmes et de sang, cependant avec le développement d’un mouvement révolutionnaire au sein du prolétariat, un souffle de vie passera sur la société.

Pour approfondir la compréhension des mesures qu’un État prolétarien sera amené à prendre pour passer de la société bourgeoise à la société communiste, nous invitons nos lecteurs à se reporter à la critique de Marx des programmes de Gotha – 1875 – et d’Erfurt – 1891– ainsi qu’aux commentaires d’Engels. Nous publierons en archives ces textes.

  

  

 

DE L’ÉCONOME CAPITALISTE AU COMMUNISME

Très chers camarades,

nous avons voulu choisir pour cette conférence un thème du plus haut intérêt dont bien sûr je ne pourrais donner une présentation complète, étant donnée la grande multiplicité de ses aspects.

Afin d’exposer ce que sont selon notre doctrine les développements du passage du régime bourgeois au régime communiste, nous avons insisté de nombreuses fois, de façon très développée et très claire, sur la partie historique et politique du thème ; et nous avons discuté de ce qu’est la formule de la conquête politique du pouvoir en opposition aux affirmations d’autres écoles ; mais le caractère économique de ce passage entre deux époques, deux histoires, deux régimes n’est pas mis en lumière aussi clairement.

On trouve donc fréquemment sur ce sujet des opinions erronées même parmi les camarades qui appartiennent en tant que dirigeants et chefs à notre mouvement. Il s’agit là d’un sujet qui même dans notre parti n’a pas été suffisamment approfondi, suffisamment étudié, même si nous tous avons à notre disposition, dans ce domaine très intéressant, outre les œuvres classiques de nos maîtres, l’expérience de la révolution russe, qui envisage sous nos yeux la transition de l’économie capitaliste à celle socialiste et communiste.

Nous ferons par conséquent quelques remarques saillantes sur cet argument très intéressant, sans prétendre en donner un développement complet, parce que ceci signifierait vouloir exposer complètement ici la doctrine économique du socialisme.

Nous mentionnerons tout d’abord sommairement ce qui était la partie la plus commune du courant ordinaire de la propagande socialiste et communiste, la critique de l’organisation économique actuelle de la société capitaliste ; soit la mise en évidence des caractères que la révolution prolétarienne doit dépasser et détruire grâce à l’œuvre de cette classe qui se trouve sacrifiée par les rapports sociaux d’aujourd’hui.

 

Le capitalisme et sa nature

La structure de l’économie capitaliste, comme nous la voyons se développer dans notre pays et dans les pays plus avancés que celui dans lequel nous vivons, se présente, depuis que le régime capitaliste a remplacé les vieilles formes féodales, comme une économie à entreprises divisées, autonomes, isolées ; c’est l’économie de la propriété privée et, pour être plus exact, l’économie de l’exercice privé des entreprises productives : entreprise qui – voici le caractère particulier à l’ambiance économique du capitalisme – regroupe en soi d’importantes quantités de forces productives ; étant entendu par forces productives les hommes qui sont dédiés à une élaboration donnée comme le sont également tous ces moyens et ces ressources techniques auxquels ces hommes recourent pour pouvoir parvenir à la manipulation ultime des produits qui doivent sortir de l’entreprise.

L’époque capitaliste s’ouvre précisément avec l’affirmation de cette technique productive moderne, qui détermina la naissance de grandes fabriques, utilisant les dernières découvertes de la science, les grandes forces de la vapeur et de l’électricité, et qui réunit donc en une organisation unique divisée en différentes parties un grand nombre de personnes destinées à la transformation du même produit qui était élaboré dans cette unité productive; en rassemblant un grand nombre d’ouvriers qui par leurs fonctions réalisaient une opération précise. Puisque le capitalisme économique commence quand nous nous trouvons confronté dans le domaine technique à l’analyse, à la division des fonctions du travail et dans le même temps à la centralisation d’un grand nombre de travailleurs dédiés à la préparation du même produit, du même article qui doit être mis sur le marché.

Tandis qu’à l’époque pré capitaliste, la production des articles manufacturés se faisait à partir de l’artisan, qui n’avait que deux ou trois aides auprès de lui et en se servant de secrets techniques et de l’expérience de son art, manipulait tout seul les objets qui devaient être mis sur le marché, l’utilisation de ces moyens plus modernes nous conduit au contraire à la spécialisation des travaux.

Nous avons une série de phases qui nous conduisent de la matière première à l’article produit en grande quantité. A chaque phase est dédiée une équipe déterminée d’ouvriers avec des machines et des procédés déterminés : chacun est capable d’accomplir non pas tout le cycle productif, mais est dédié à une seule phase de cet exercice.

Par conséquent, spécialisation, division du travail entre tous ces éléments qui composent l’unité productive, du simple travailleur manuel jusqu’au technicien, lequel dirige et accomplit des opérations d’ordre scientifique, des calculs qui peuvent être nécessaires pour mener à bon terme ce mécanisme de la production.

Le fondement technique du régime capitaliste est donc l’existence de ces grandes unités productives.

Ces unités productives sont la propriété d’individus ou d’associations, de groupements d’individus que nous appellerons capitalistes, industriels, qui sont les détenteurs de ce qui se fait dans l’usine, dès lors qu’elle assume la forme de société ; mais dans ces grandes installations productives, l’ensemble des ressources de la production n’appartient pas à ceux qui y travaillent.

Tandis que l’ancien artisan disposait des moyens, des instruments qui étaient nécessaires à l’accomplissement de son travail, le nouvel ouvrier qui travaille aux côtés de centaines, de milliers d’autres compagnons, n’a plus à sa disposition les moyens productifs, n’est plus le possesseur des instruments productifs et par conséquent n’est pas non plus le possesseur des produits.

L’artisan vendait comme cela lui convenait le mieux ce qui était le résultat de son travail : l’ouvrier industriel, au contraire, n’a aucun droit sur les produits qui sortent de l’usine, de l’industrie, de l’établissement. Ces produits sont à la disposition des entrepreneurs, des capitalistes, que ceux-ci soient représentés par un seul individu, par une société anonyme, ou par toute autre forme.

La rétribution du travail que l’ouvrier accomplit est représenté par le "salaire", c’est-à-dire par le paiement en monnaie, qui, comme la théorie marxiste l’a démontré, représente non pas la part correspondant à tout ce que l’ouvrier a donné, mais seulement une fraction ; dans la mesure où l’autre fraction, dites plus- value, est prélevée dans l’intérêt de l’entrepreneur capitaliste et va représenter le profit de l’opération qu’il a organisée avec cette entreprise.

L’ouvrier est donc rétribué sous forme de salaire seulement d’une partie du travail qu’il donne : l’autre partie constitue le gain, le profit du capitaliste, qui est l’élément complètement passif de la production, parce que dès lors que nous calculons ce profit, nous supposons en avoir retiré non seulement tous les salaires des ouvriers, mais aussi des employés administratifs, des techniciens, des ingénieurs, de tous ceux qui ont une fonction réelle et utile dans la production ; il reste toujours une certaine quote-part qui représentent l’avantage, le profit qui revient au capital employé, qui correspond à une fonction que la critique économique socialiste dénonçait comme passive.

Ceci caractérise l’économie capitaliste : appropriation privée, appropriation de la part d’un individu des produits du travail associé dans de grandes unités productives qui englobent un grand nombre de travailleurs spécialisés dans des fonctions déterminées.

 

L’évolution du régime capitaliste

La critique de la société capitaliste développée du point de vue du marxisme, que nous nous limitons ici à rappeler, concluait qu’une société qui voit sa production organisée sur ces bases ne peut fonctionner indéfiniment, que ceci n’est pas un engrenage rationnel ; que cette fonction doit nécessairement conduire à une série d’inconvénients, de contradictions, de crises, jusqu’à ce que, avec le développement de ces crises, la machine même se révèle complètement incapable de fonctionner, et doive céder la place à une nouvelle machine productive, qui est celle socialiste.

Il n’est pas possible d’éviter cette succession de crises dans le monde de l’économie capitaliste. Le marxisme en a fait une analyse aiguë, a souligné toutes les contradictions qui sont inhérentes à ce mécanisme, a démontré comment dans ce grand engrenage les richesses produisent la misère, comment le développement et la potentialisation des moyens de production conduisent petit à petit le capitalisme au phénomène de la surproduction.

Ces énormes fabriques, ces grands établissements accumulent des stocks énormes de marchandises : à un certain point, ils ne trouvent plus de consommateurs qui puissent les acquérir. La valeur des marchandises est déterminée par la loi qui préside à la distribution capitaliste, celle de l’offre et de la demande, parce que la distribution se fait dans le domaine du libre échange, de la libre concurrence : les capitalistes qui ont à leur disposition ces produits doivent les placer sur différents marchés ; ils les expédient là où cela convient, selon des oscillations des prix qui sont déterminées par la proportion de la demande et de l’offre, par la concurrence que se font entre elles les diverses entreprises capitalistes afin d’obtenir la possibilité d’écouler de façon préférentielle et plus rapidement leurs produits.

Dès lors que le mécanisme industriel capitaliste a déterminé une grande quantité d’un certain produit et tente de le placer sur divers marchés, il y a une grande offre par rapport à celle qui est la demande limitée des consommateurs ; le prix commence à descendre et il descend en dessous d’un niveau qui rend impossible à l’entrepreneur capitaliste de continuer la production : les usines ferment, les ouvriers sont licenciés, ils ne reçoivent plus de salaire et puisqu’en dernière analyse ils sont toujours les consommateurs et les acheteurs, la crise s’aggrave davantage.

Ainsi donc, le fait d’avoir accumulé une grande quantité de ces biens qui sont nécessaires à toutes les fonctions de la vie humaine, au lieu d’être une condition de bien-être, ce fait devient, en régime capitaliste, une condition de mal-être, détermine la fermeture des usines, l’arrêt de la production, jusqu’à ce que petit à petit par la consommation ou par la distribution même des produits de l’industrie capitaliste, on parvienne à rétablir l’équilibre et l’on puisse réorganiser la production.

Le marxisme a dénoncé certaines périodes de ces crises capitalistes ; elles se suivaient à distance de dix années, se répétaient avec des caractères de plus en plus accentués et y trouver un remède devenait de plus en plus difficile.

Il y aurait ici beaucoup à dire si nous voulions suivre les lignes de l’aggravation générale de la crise capitaliste et la préparation de la catastrophe finale comme elles ont été traitées par la critique économique marxiste. Mais nous pouvons omettre ce développement, car nous nous trouvons face aux faits, qui ont nettement confirmés les prévisions catastrophiques du marxisme en ce qui concerne le développement du capitalisme bourgeois.

Si nous abordions, sur les traces de Marx, l’analyse de ce qu’est le jeu du capital financier et de ce phénomène qui a été appelé impérialisme, nous verrons que la classe capitaliste, qui est au pouvoir, a bien cherché à réagir à la condamnation qui lui pesait sur les épaules, a cherché à éviter cette crise finale, mais n’a pas pu faire autrement que la diffuser, en l’aggravant encore plus.

La phase la plus récente, c’est-à-dire l’impérialisme, nous montre les coalitions des grands capitalistes, les grands trusts, les grands syndicats, directement soutenus par le grand appareil des États bourgeois, qui par leur œuvre de compensation réalisée avec la conquête politique et militaire des marchés coloniaux, cherchent à neutraliser la crise capitaliste, cherchent à faire encore quelque chose ; de plus, ils cherchent à étendre leur influence également au-delà de la partie purement économique, dans celle politique.

Ils comprennent que cette grande masse de prolétariat, cette grande masse de travail continuellement sacrifiée par le capitalisme, complètement exploitée dans les usines, commence à alimenter le maximum d’effort révolutionnaire afin de pouvoir briser les rapports dont ces conditions d’infériorité dérivent ; et donc le prolétariat oppose une force, d’abord destructive et ensuite régénératrice, à tout le monde capitaliste, par ses explications économiques, sociales, politiques.

L’impérialisme capitaliste cherche pour cela à endiguer aussi du point de vue politique.

la dissolution de son régime, comme cela est bien dit dans le travail récent du camarade Boukharine (1) l’impérialisme cherche à tout mobiliser, non seulement de l’économie capitaliste, afin de chercher à l’enrégimenter, non seulement la mobilisation militaire au travers de la course aux armements que déterminent les rivalités entre les grands groupes capitalistes, mais également la mobilisation idéologique du prolétariat : il cherche à le canaliser, à la place du grand effort final, dans des voies erronées et obliques qui puissent converger dans une œuvre de reconstruction de la désagrégation capitaliste, de mobiliser des forces politiques qui permettent de dévier de son but le heurt des forces révolutionnaires du prolétariat  au travers du phénomène du social-réformisme et du social-patriotisme dans lequel, au travers des dégénérescences parlementaristes d’une partie et corporatiste de l’autre, on retire à l’union prolétarienne des coefficients pour le soutien de l’État bourgeois.

 

La crise finale de la société bourgeoise

Mais toute cette partie de l’étude ne conclut qu’à la constatation de la condamnation que le marxisme avait déjà donnée et qui se confirme de nouveau au travers de ce fait grandiose qu’est l’avènement historique auquel nous avons tous assisté, c’est-à-dire la crise récente préparée précisément par la phase impérialiste du capitalisme : ce heurt terrible entre les différentes coalitions capitalistes, entraînant d’innombrables destructions de valeurs matérielles et morales et la détérioration définitive de la machine sociale, ramenant au premier plan la question du dépassement de l’administration politique actuelle de la société qui est dirigée par la classe capitaliste, imposant la question du renversement de ce rapport dans une nouvelle structure économique, politique et sociale.

Nous nous trouvons par conséquent aujourd’hui – et ceci est la thèse fondamentale de l’Internationale Communiste – non pas face à une des si nombreuses crises du capitalisme qui peuvent à nouveau se résoudre de façon à retourner dans l’ambiance de l’économie bourgeoise : nous sommes vraiment face à la crise finale, catastrophique, à la veille du bouleversement, de la révolution définitive de cette structure productive.

Et ce bouleversement prend l’aspect d’une intensification de cette lutte de classe qui dans son fondement vit du rapport quotidien économique que nous avons dénoncé dans chaque usine, dans chaque entreprise : l’exploitation capitaliste, qui existe, sous l’aspect d’une antithèse générale sociale et politique, entre la force prolétarienne et la force bourgeoise, et prend l’aspect d’une lutte pour pouvoir prendre la direction politique de la société ; car l’autre thèse fondamentale de notre courant est que pour porter atteinte à ces rapports d’exploitation, pour pouvoir détruire cette structure erronée, irrationnelle de l’organisation économique et commencer l’œuvre qui devra la remplacer par la nouvelle économie socialiste et communiste, afin de réaliser ceci, il faut avant tout que le conflit soit résolu, et au niveau politique, il faut que le pouvoir ait été arraché à la classe capitaliste.

Ceci ne peut se réaliser qu’au travers d’une lutte violente, et se pose sous l’aspect d’un dilemme entre la dictature bourgeoise et la dictature du prolétariat d’où doit surgir de nouveaux instituts, des conseils des producteurs, dont le premier exemple nous a été donné précisément par la glorieuse Russie des Soviets.

D’où la nécessité historique qui impose que le prolétariat se mobilise partout pour la conquête du pouvoir. Ceci est devenu clair pour nous tous. L’objectif fondamental de notre lutte et de notre vie est le renversement du pouvoir de l’État bourgeois, la conquête du pouvoir par le prolétariat.

Mais ici commence un autre très vaste et très important problème, certainement pas moindre que le précédent. Qu’est-ce qu’il adviendra dès lors que le prolétariat aura brisé l’organisation politique bureaucratique, policière, judiciaire, militaire, que préside l’économie capitaliste, et qui empêche de briser l’engrenage de cette machine ? Qu’est-ce qu’il adviendra dès lors qu’on devra mettre la main à l’autre œuvre beaucoup plus longue et non moins difficile, c’est-à-dire celle qui consiste à remplacer l’appareil de l’économie bourgeoise désorganisée, brisée, soit par l’ultime crise due à la guerre impérialiste, soit par le déroulement et par le conflit de la guerre civile qui aura déterminé le transfert du pouvoir d’une classe à l’autre classe, afin d’ériger sur ces ruines son nouvel appareil ? Voici le vrai problème, le problème fondamental de la révolution auquel révolutionnaires et communistes doivent se préparer.

C’est précisément de ce problème et après cette prémisse un peu longue, que je voudrais vous dire quelque chose qui sera évidemment incomplet et synthétique.

 

Les concepts erronés de la révolution économique

Pour passer des caractères qui définissent l’économie bourgeoise industrielle, qui consistent dans le droit et dans le fait de l’appropriation privée des produits d’un travail associé collectif, à ceux qui pourraient être les formes idéales d’une économie collectiviste, quelle voie devra-t-on parcourir, quels moyens devra-t-on envisager ?

Voilà le problème qui se pose à nous.

Nous dirons avant tout quelque chose de deux solutions simplistes et erronées qui sont presque toujours proposées au prolétariat. Nous avons la solution social-démocrate qui voudrait sauter cette thèse que nous avons donnée comme déjà démontrée, qui voudrait confier à l’État bourgeois conquis au travers de ses mécanisme électifs par la force du prolétariat, la tâche de la démolition de la vieille machine économique et celle de la reconstruction des rapports nouveaux. Pour le dire plus clairement, la solution social-démocrate refuse de croire qu’il faudra démolir l’appareil bourgeois : elle voudrait non pas la démolition de l’économie capitaliste, mais sa modification, sa transformation, son accommodement en de nouvelles formes qui petit à petit devraient aboutir à la naissance de la nouvelle économie communiste.

Ceci est un concept totalement erroné ; le concept d’un État démocratique qui vote une loi qui déclare que des entreprises déterminées, des blocs déterminés d’industries cessent d’être une propriété privée, passent à l’État et sont donc socialisées par ce même État bourgeois et démocratique, est inadmissible.

C’est un concept absurde parce il y a deux caractères que nous devons parvenir à dépasser dans l’économie bourgeoise si nous voulons commencer à conquérir les données de cette économie socialiste d’où naîtra le bien-être du prolétariat : le premier est celui de l’exploitation de l’homme par l’homme ; le second est celui du fractionnement, de l’irrationalité de soustraire le jeu des phases économiques au contrôle intelligent d’une organisation collective de l’humanité.

Les deux thèses sur lesquelles travaille le socialisme sont sont celles-ci : d’un côté,centralisation de l’économie, maîtrise centrale et rationnelle ; de l’autre, suppression de l’exploitation de l’homme par l’homme, abolition de la plus-value.

 La socialisation accomplie par l’État bourgeois nous conduirait à la centralisation dans les mains de l’État d’une branche déterminée d’industries, présenterait certains des avantages du système socialiste plus rationnel que celui capitaliste, mais ne pourrait pas supprimer l’exploitation, parce que nous ne pouvons concevoir d’autre expropriation faite par l’État démocratique que l’expropriation avec le chantage de l’indemnité : nous ne pouvons concevoir un État démocratique qui prenne la décision de rompre le droit de propriété de l’entrepreneur, de l’industriel, parce cet organisme étatique romprait en même temps par ce délibéré sa constitution même, son code civil, en vertu duquel existe seulement sa force étatique.

Un tel délibéré d’une assemblée législative bourgeoise démocratique qui franchirait les limites constitutionnelles, les limites du droit de cet Etat, n’obtiendrait aucune exécution de la part de ce pouvoir qui s’appelle précisément exécutif, ne serait pas traduit dans la pratique par les fonctionnaires, les policiers de l’Etat bourgeois, et un conflit naîtrait qui ramènerait au premier plan le problème de la nécessité de briser par la violence et non de conquérir par le moyen pacifique démocratique le mécanisme étatique.

Et alors, si nous ne pouvons concevoir d’autre expropriation que celle qui indemnise le capitaliste exproprié, on comprend tout de suite que le nouveau mécanisme n’aura rien de différent avec le vieux capitalisme, que le capitaliste tirera la plus-value de la même façon au travers de la gestion étatique, puisqu’il ne devra faire autrement que de se rendre aux guichets du trésor public pour encaisser les intérêts des valeurs sous forme d’argent comptant ou autre. En réalité, le principe et le fait de l’exploitation des masses prolétariennes, le produit qui devrait alimenter les caisses étatiques par le travail, demeureraient.

Sans vouloir revenir plus tard sur cette partie, nous pouvons conclure que cette école soutient un concept absolument inacceptable.

Un autre concept, qui est mis en avant par un courant plus révolutionnaire, est celui qui réalise l’erreur inverse, celle de supprimer l’exploitation, d’enlever tous les droits au capitaliste, mais non d’organiser de façon centralisée les énergies économiques.

Ce sont les écoles syndicalistes et anarchistes, qui voudraient confier la nouvelle production surgissant des ruines de la société capitaliste à la conquête directe des entreprises par ces ouvriers qui travaillent dans ces entreprises déterminées ; ces derniers constitueraient des communes de travailleurs, des coopératives qui fondamentalement, en conservant l’ancienne limite de l’entreprise, remplaceraient l’ancien gérant. Le propriétaire serait éliminé, mais nous n’aurions pas pour autant réalisé un des postulats essentiels de l’avantage que présente l’économie collective sur l’économie privée : nos n’aurions pas l’association, la centralisation, la maîtrise centrale. A quelles conséquences cela conduirait-il ?

Nous en venons ici par le biais de cette critique à exposer petit à petit quels sont nos concepts positifs économiques face aux concepts négatifs des autres. Avant d’en arriver au communisme qui permettra à la production d’atteindre une intensité telle qu’elle puisse donner à tous tout ce dont ils auront besoin, nous nous proposons d’arriver au socialisme, c’est-à-dire de parvenir à ce que ceux qui travaillent soient récompensés de tout leur travail, mais sous une forme très différente de celle du salariat.

Le salariat considère le travail comme une marchandise : celui qui travaille est payé selon la quantité de travail qu’il a fourni ; tandis qu’au contraire dans le nouvel ordre socialiste, le travailleur doit être payé selon un autre critère ; car une injustice fondamentale du régime actuel consiste dans le fait que l’ouvrier reçoit le même salaire qu’il soit seul et sans famille, ou qu’il doive pourvoir à une famille de dix personnes ; tandis que la nouvelle administration socialiste, de la même façon qu’elle prend en main la disponibilité de tous les produits, assume également l’assignation centrale de tous les salaires et donne au travailleur non seulement pour sa consommation individuelle, mais proportionnellement à ses enfants, ses femmes, ses vieux, même s’ils sont au chômage pour des motifs légitimes.

Le régime socialiste est fondé sur ce régime de grande équité. Pour faire ceci, il faut avoir eu une statistique unique et une distribution unique des produits de toutes les entreprises. Si les entreprises, tout en étant gérées non plus par l’ancien entrepreneur capitaliste, mais par une association coopérative, par la commune de ses ouvriers, restent autonomes face aux autres producteurs, alors une entreprise pour rétribuer ceux qui y travaillent ne pourrait absolument pas adopter ce concept social qui est l’innovation fondamentale de justice et de rationalité économique, parce qu’elle ne pourrait tenir compte que du nombre matériel de ceux qui travaillent, et les rétribuer proportionnellement à leur travail.

Car rétribuer le travail de façon proportionnelle n’est pas juste, parce que tout le monde ne travaille pas : une grande partie ne peut produire, tout en accomplissant dans le même temps des fonctions tout aussi utiles ; elle a des droits que ce soit des enfants, des vieux, des mères, des invalides ; il faut donc remplacer l’ancien critère de rétribution du travail, celui de rétribuer l’homme qui a le devoir d’être un travailleur quand il peut le faire, mais qui quand il ne peut le faire a également le droit de ne pas être rejeté comme un chiffon inutile sur le pavé, là où le capitaliste a toujours laissé ceux qui ne pouvaient pas lui servir.

Voici pourquoi une économie à entreprises isolées, sans capitaliste, sans entrepreneur, mais présentant les mêmes critères que l’entreprise autonome, n’aurait pas encore dépassé les principales raisons critiques qui nous conduisent à condamner l’économie capitaliste.

Le régime que la révolution du prolétariat se propose de réaliser ne doit donc pas retomber dans aucune de ces deux erreurs. Il doit dépasser l’économie de la liberté productive, il doit réaliser une centralisation rationnelle des forces économiques, il doit dépasser la désorganisation que le capitalisme amène dans la production et dans la distribution.

 

La tâche économique de l’État prolétarien dans l’industrie

Et comment se présente alors la tâche que l’État prolétarien doit accomplir ?

Naturellement l’État prolétarien peut immédiatement parvenir à la socialisation de ces entreprises qui présentent les caractéristiques que nous avons décrites : grande entreprise dans laquelle il y a une spécialisation et une division du travail, le concours de différents individus dans la manipulation finale qui aboutit au produit nécessaire à la consommation.

Il est donc possible pour le régime prolétarien d’affronter tout de suite le problème de la socialisation de l’industrie, qui n’est pas celui de la gestion de chaque industrie de la part des ouvriers qui y travaillent, mais de la gestion de l’industrie de la part de tout le prolétariat, de toute l’organisation prolétarienne : et celle -ci demeure une organisation étatique tant qu’il y aura des tâches politiques et des tâches militaires qui rendent nécessaire le caractère autoritaire de ses fonctions.

Elle établira la socialisation de branches déterminées d’industrie et réalisera la gestion de ces branches. Ceci veut dire qu’elle doit avoir la possibilité d’enregistrer et de contrôler et d’administrer toutes les matières premières dont ont besoin ces industries déterminées.

Elle doit avoir aussi la possibilité de recueillir ces matières premières et de les transporter jusqu’aux différentes entreprises, et elle doit à son tour retirer des produits de ces entreprises pour les distribuer là où ils sont nécessaires, à d’autres entreprises ou directement à la consommation.

Et vous comprenez alors que pour que soit possible cette gestion véritablement socialiste, cette socialisation réelle de l’industrie, il ne faut pas en chasser par la force les patrons, il ne faut pas arborer sur les établissements le drapeau rouge : il faut avoir construit au moins certains morceaux du nouvel engrenage qui doit faire affluer à ces industrie la matière première et faire écouler le produit.

Ce n’est seulement que lorsque ce réseau existe, seulement quand tout ce réseau est construit, qu’on pourra dire que ces industries déterminées sont prêtes pour être socialisées.

Même la socialisation économique de l’industrie ne peut donc survenir le jour qui suit l’instauration du pouvoir prolétarien : c’est le résultat ultérieur, et nous devons exposer aussi le stade intermédiaire, qui est celui dit  "contrôle ouvrier".

 

Le contrôle ouvrier

Durant l’intervalle révolutionnaire, la lutte révolutionnaire, qui ne peut certainement pas être régulée, surviendront inévitablement des milliers de conflits locaux entre des groupes d’ouvriers et de capitalistes, une quantité d’épisodes que l’on peut certainement déclarer comme ne correspondant pas parfaitement au processus révolutionnaire final, mais qu’on ne peut ni exclure, ni condamner. Et alors l’État prolétarien confiera aux ouvriers de chaque établissement le contrôle sur ce que fait leur capitaliste, obligera le capitaliste à payer un salaire déterminé, soutiendra les ouvriers de l’usine, qui ne pouvant pas encore faire sans le vieux système d’administration économique au risque d’arrêter la production, devront savoir contrôler ou bien apporter sa contribution à la construction de cette expérience qui doit donner lieu au nouveau mécanisme. (2)

Et alors le contrôle ouvrier sur la production se présente pour nous communistes comme une première phase vers le socialisme, vers la gestion collective de l’entreprise de la part de l’État prolétarien.

Pour réaliser ce premier postulat, il est pourtant indispensable que le pouvoir politique soit déjà passé dans les mains du prolétariat.

Et c’est pourquoi les communistes voient que pratiquement dans l’usine ce problème s’annonce dorénavant comme un besoin pour les ouvriers, surtout quand ils entendent dire que l’usine doit fermer et qu’il doit y avoir des licenciements parce qu’il n’est plus possible d’écouler les produits, quand les ouvriers sentent ce besoin instinctif d’aller voir pourquoi cette machine de la production qui leur donne la vie, ne peut plus fonctionner, les communistes doivent alors intervenir en disant qu’ils pourront garder la machine, ils pourront commencer à la gérer, à se préparer à la gestion dans l’intérêt collectif suprême seulement à condition que soit gagnée la grande bataille générale unique politique contre le pouvoir de la bourgeoisie, qu’ait été réalisée l’organisation de la domination du prolétariat, qui fasse en sorte que la force armée de l’État n’intervienne plus pour protéger les intérêts des capitalistes, mais qu’il y ait une organisation opposée de forces qui fasse respecter les intérêts des ouvriers.

 

La socialisation

Et cette tendance à s’occuper de l’organisation de l’usine, nous devons l’introduire dans la conscience générale de la classe prolétarienne qui doit parvenir à diriger de façon unie la complexe machine politique et sociale, parce que ce n’est que lorsque cette force sera tenue fermement par des phalanges révolutionnaires, que l’on pourra commencer à briser les anneaux de l’exploitation et aller vers la rédemption humaine.

Le contrôle ouvrier est donc pour nous une étape, après la conquête du pouvoir politique, vers la gestion sociale, vers la gestion collective de l’industrie, de ces grandes entreprises de production, qui nous permettra de faire un grand pas vers le socialisme.

Ce grand pas qui sera de proclamer que désormais est supprimé tout droit au libre commerce des produits industriels ; que ne sont plus placés, que ne s’acquièrent plus pour le compte des privés les produits de l’industrie, mais que c’est à la collectivité d’en administrer et d’en diriger centralement la circulation ; si bien qu’un des indices extérieurs et pratiques de ce stade est le fait que sont supprimés les tarifs pour les transports ferroviaires des marchandises ; car il n’est plus concevable que des marchandises voyagent pour le compte de privés et, tandis que dans l’ancien régime capitaliste la marchandise voyageait et faisait des dizaines de milliers de kilomètres pour trouver des profits plus grands, ceci aujourd’hui ne se vérifie plus.

Il existe, en effet, la vision centrale de l’administration rationnelle qui cherche à obtenir le meilleur résultat avec le minimum de moyens, qui cherche à obtenir un rendement plus utile des transports ; et se réalise donc à partir de l’administration centrale des énergies productives un des plus grands bénéfices.

Dans le même temps, les services publics, qui déjà en régime public sont exercés par l’État, perdent le caractère d’entreprise de spéculation. L’activité générale de l’entreprise étatique du prolétariat leur dédie une partie de ses ressources économiques, de façon qu’il soit possible de rendre ces services complètement gratuits, qu’il soit possible de supprimer les tarifs du train, du tramway, de la poste, l’abonnement à l’électricité, à la distribution de l’eau, du gaz, du téléphone, etc.

Toutes les ressources indispensables à la vie moderne se centralisent au fur et à mesure que l’État prolétarien étend ses fonction de discipline et d’administration de toutes les activités industrielles, et que nous nous dirigeons vers le socialisme, dans la mesure où dans le même temps l’État prolétarien devient celui qui tient les dépôts dans une très grande mesure – et nous en dirons quelque chose – de ces produits de la terre qui sont nécessaires à l’alimentation, en devient le distributeur d’abord sous forme de paiement en monnaie pour ceux qui travaillent, puis sous forme de paiement en bons de travail, puis en consignant directement des produits au travers de ses magasins ; et il instaure ce principe fondamental : le salaire en nature.

Au fur et à mesure que ces entreprise entrent dans le mécanisme de la socialisation, l’État collectif qui devient celui qui dispose de tous les produits, devient également celui qui distribue, et non plus selon le vieux principe du salaire en fonction du travail, de la qualité et de la quantité de celui-ci, mais du salaire, sinon encore en fonction des besoins, du moins en fonction d’une répartition équitable de ce qui est indispensable pour donner à tous la possibilité de vivre.

Et il tient donc compte de tous ceux qui ne travaillent pas, non parce qu’ils ne veulent pas travailler, ou parce qu’ils appartiennent à d’anciennes classes parasitaires, mais parce qu’ils sont toute cette partie de la collectivité qui légitimement ne travaille pas : les femmes qui pourvoient à la gestation et à l’élevage de leurs enfants, les malades, les fous ou ceux aussi qui en raison du cours difficile de la crise économique se retrouveraient sans travail.

Succédera ce grand concept socialiste qui changera complètement le critère de la rétribution du travail, et ceci est rendu possible par la socialisation d’une grande partie de l’activité économique représentée par l’activité industrielle.

 

La révolution et l’économie agraire

Mais en réalité, la condition pour que puisse fonctionner ce mécanisme de l’administration commune est celle d’avoir sinon introduit le socialisme dans le domaine de la production agricole, du moins de s’en être grandement approché, au travers de phases successives, dans ce difficile domaine qui ne présente pas la même facilité, la même simplicité que l’économie industrielle. Le problème de l’attitude de l’État prolétarien face à l’économie agricole est un problème fondamentale pour la révolution, et a été le problème central en Russie dans la mesure où la Russie était un pays dans lequel l’économie n’était pas dominée par le facteur industriel, mais par la production agricole. Le problème agraire aura un poids important également pour nous qui vivons dans un pays agricole. Et ceci est le domaine dans lequel les erreurs sont majoritairement diffuses.

Nous ne pouvons pas exposer complètement cet argument, mais en procédant sommairement, nous devons indiquer avant tout que dans la recherche de ce que sont les tâches de la révolution économique face à l’état de fait de la production agricole, il ne faut pas perdre de vue notre concept central, selon lequel la socialisation représente la mise à disposition pour la collectivité de ces moyens productifs et de ces produits qui existaient sous formes de grandes unités productives intégrales, organisées, dans lesquelles il y avait spécialisation et division du travail.

Là où nous nous trouvons face à une agriculture si évoluée qu’elle ait des grandes exploitations où le travail du cultivateur soit spécialisé, nous pouvons passer selon les mêmes caractères de l’exercice privé à la gestion de l’État prolétarien ; mais là où ceci n’est pas – et pour une grande partie ceci est encore loin de l’être –, nous ne pouvons prétendre à une socialisation immédiate.

Là où nous avons de grandes propriétés foncières au caractère encore féodal, dont la culture est confiée à des petits paysans, nous ne pouvons pas parler ici de socialisation, parce que ce ne sont pas de véritables  "grandes entreprises" : ce sont des grandes propriétés au sens juridique du terme, mais non au sens technique et économique. En réalité ce sont autant de petites entreprises constituées par les familles des paysans qui ont loué leur petit morceau de terre, et qui sont soumis à une exploitation unique de la part du propriétaire foncier ; mais cette unité d’exploitation n’est pas une condition suffisante pour que l’on puisse parler de production organique collective. Dans ce cas la première action est donc de libérer le travailleur de la terre de cette exploitation. 

Nous nous trouvons encore au moment où de la disponibilité privée nous passons à la disponibilité des produits de la part de la collectivité ; mais nous disons : on permet au paysan de disposer de toute son entreprise avec ses produits. On dit donc qu’on lui donne la terre, qu’on le rend propriétaire de ce morceau de terre sur lequel il a toujours travaillé : mais il ne s’agit pas d’une réelle propriété juridique, mais d’une autre forme de propriété qui représente l’abolition de l’exploitation de l’homme par l’homme, forme qui ne peut être accompagnée de l’autre critère de la centralisation des activités productives ; parce que celle-ci est possible quand la production est fractionnée en dix, en cent, en mille grandes entreprises, mais n’est pas possible quand nous nous trouvons face à des millions de petits champs séparés qui ne peuvent être administrés par un organisme central.

Nécessité donc de laisser ces petits champs à la disposition du paysan, de lui laisser ce qu’il lui faut en lui demandant seulement de donner une quote-part du produit pour l’alimentation de la population non agricole.

 

L’évolution de l’économie agraire

Ceci constitue le vaste problème auquel est confronté aujourd’hui la Russie, et je n’ai pas non plus, dans l’exposé général que j’ai entrepris ici, eu la prétention de faire le tableau de la révolution russe. Mais la Russie se trouve précisément face à ce problème, qui est de faire cadrer l’armée des petites entreprises isolées de paysans avec l’économie collective.

Pour la Russie, ce problème est très grave, parce qu’il s’agit d’un pays à prédominance agraire, et l’unique résolution de ce problème, qui, comme Lénine l’a dit dans son magnifique discours (3), n’est pas encore du socialisme, mais est du pré socialisme, est celle-ci : l’État dit au paysan : tu ne peux pas vendre, le commerce des produits agricoles est supprimé, et tout ce que tu produis en plus de la consommation de ta famille, tu dois me le donner à moi, l’État.

Mais pour dire ceci, l’État prolétarien doit avoir organisé la production industrielle sur des bases telles que l’on puisse dire au petit paysan : je te donnerai tout ce qu’il te faut en produits qui ne sortent pas de la terre. Pour faire ceci, l’État prolétarien doit avoir réorganisé l’industrie ; et pour avoir réorganisé l’industrie, les travailleurs industriels doivent pouvoir manger, la récolte doit être favorable ; pour avoir une récolte favorable, il faut qu’une grande partie des travailleurs ne soit pas les armes à la main en train de défendre le nouveau régime des assauts de la réaction ; voici le terrible problème, voici la terrible tragédie à laquelle est confronté le prolétariat russe.

Les opportunistes utilisent ces circonstances pour porter atteinte à l’idée fondamentale de la révolution : ils devraient avoir honte de leur spéculation. Ils devraient rougir de ne pas savoir reconnaître la grandeur de l’effort que le prolétariat russe assure tout seul au nom du prolétariat du monde entier, qui lui attend encore le moment de brandir les armes pour venir à son aide.

Revenons à l’argument qui nous occupe, et en premier lieu après la victoire révolutionnaire on constatera qu’une économie de petit capitalisme agraire vit aux côtés de l’industrie socialisée. Ceci peut sembler un accommodement, un opportunisme. Il n’en est rien ! C’est la conséquence légitime d’une situation réelle, comment on la fait cadrer dans une vision critique marxiste complète du passage de l’économie du régime bourgeois à celui socialiste.

Ce passage, ces complications qui se présentent dans la construction de la nouvelle économie socialiste nous confirment la vérité de la thèse fondamentale, que pour commencer à faire la plus petite des innovations, il faut avoir pris tout le pouvoir politique dans une lutte ouverte, sans quartier, contre la bourgeoisie. Ces complications laissent donc dans son intégrité la thèse fondamentale de l’Internationale Communiste : la conquête du pouvoir.

Par conséquent, ô camarades, cette forme précédant la phase, où l’État prolétarien pourrait donner au paysan ce qu’il lui faut en produits non agricoles, se résout en un croisement entre petit capitalisme agraire et socialisation de grandes entreprises, dans lequel le paysan consomme une partie des produits du sol, et donne une autre partie à l’État ; il peut encore écouler, vendre sur le marché une autre partie, il peut encore l’échanger ou contre des produits d’autres paysans qui produisent des choses d’un autre genre ou contre des articles de la petite production qui n’est pas encore encadrée par l’État.

Ceci est le stade dans lequel se trouve aujourd’hui la Russie.

Mais en ne nous arrêtant pas sur ce qui arrive en Russie, nous verrons qu’un pas en avant consistera à dire : la production industrielle de l’État prolétarien s’est organisée à un point tel qu’elle donne aux paysans ce dont ils ont besoin ; il n’y a plus de raison de laisser à leur disposition leur produit ; l’État réclame pour soi tout ce que le paysan produit en plus de sa consommation.

Il viendra un moment où l’État prendra pour soi tout le produit, comme l’État prend à l’ouvrier de l’usine de chaussures socialisée tout le produit et lui fournit pour ses besoins personnels les chaussures provenant peut-être d’une autre usine. Il viendra un moment où l’État concentrera toute la mise en magasins de tous les produits agricoles. Ce moment arrivera sans aucun doute, mais il ne pourra survenir tant que n’aura pas été dépassée la période de la petite entreprise. Vous imaginez- vous la grande comptabilité administrative de l’État prolétarien qui devrait tenir compte de millions de petites entreprises ? Ceci est absurde. Le mécanisme bureaucratique qu’on devrait construire sera si encombrant qu’il compromettrait le rendement plus grand qu’on pourrait atteindre par rapport à l’économie privée.

On y parviendra seulement quand la petite entreprise se sera transformée en grande entreprise, quand toute l’agriculture se sera industrialisée ; et ceci exige encore une intensification ultérieure de la production industrielle ; ceci exige que l’industrie, la science, aient des énergies exubérantes face à ce qui était le fonctionnement ordinaire de la production des produits manufacturés qui servent à l’humanité, et qu’ils dédient ces énergies exubérantes à renouveler la technique agricole, qui ne pourra jamais se développer dans l’ambiance du capitalisme et des entreprises capitalistes.

Seul l’État entrepreneur portera les grandes trouvailles de l’ingénierie et de la biologie dans le domaine de l’agriculture et renouvellera fondamentalement le système productif agricole qui rappelle aujourd’hui encore celui des origines primitives qui ont vécues à la surface de la terre.

La supériorité de la grande entreprise agricole sur la petite entreprise s’imposera donc seulement dans ce stade ultérieur ; les petites entreprises se coaliseront en de grandes exploitations collectives et celles-ci appartiendront à l’État qui disposera de tous les produits et établira les mêmes relations que celles qu’il établit avec les ouvriers de l’industrie socialisée. Voici donc encore un autre stade.

Nous entendons quelque fois les réformistes de notre pays dire : nous sommes les partisans de la grande entreprise et non de la petite entreprise ; la Russie a fragmenté l’entreprise, a formé la petite propriété. Il est très commode de se déclarer les partisans de la grande entreprise ; mais pour faire la grande entreprise, il faut les bâtiments, les irrigations, les bonifications, les machines… bien autre chose que les dilemmes étalés affichés dans un discours parlementaire !

L’opinion de nos réformistes qui ajoutent à leur vilenie leur incommensurable ignorance, accompagnée d’une exceptionnelle prosopopée, ne déplace pas d’un millimètre la résolution du problème de l’agriculture.

Ils ont fait une bourde colossale ; sans que ni mêmes les députés bourgeois, qui sont plus bêtes qu’eux, ne s’en aperçoivent complètement, ils ont pu dire au parlement que la grande propriété foncière russe était une grande entreprise qui aurait été remplacée par l’invincible, barbare, petite entreprise qui existe aujourd’hui dans la Russie des Soviets et ils voudraient ainsi dévaloriser la grandeur de cette révolution qui outrepasse les limites du capitalisme, qui aux côtés des grandes masses prolétariennes de l’industrialisme occidentale appellera avec des intentions fraternelles le prolétariat agricole exploité, exténué de l’Europe orientale et de l’Asie, et qui unit tous les opprimés dans un grand effort de démolition de l’exploitation.

 

Le rude chemin de la victoire prolétarienne

Voici donc, ô camarades, ce qu’est le chemin de la transformation économique qui nous conduira sur les voies du communisme, lesquelles se présentent nécessairement comme un développement de siècles, de millénaires, de périodes infinies, car notre regard ne peut presque pas voir les limites que nous atteindrons. Après le chaos de l’économie capitaliste, le rythme de l’économie communiste, qui donne non seulement pain et vêtement, non seulement cela mais tout : les écoles, l’instruction, l’éducation, l’art, les sublimes jouissances de la fraternité humaine dans le travail, la joie de la recherches de nouvelles voies par lesquelles sublimer l’effort des nouveaux frères de lutte ; tout un monde sur lequel nous levons à peine nos regards pour nous reposer des nécessités de la dure bataille dans laquelle nous vivons.

Mais la thèse fondamentale, à laquelle sont parvenus les théoriciens pour tracer cette voie lumineuse de rédemption du prolétariat, est consacrée dans le livre récent de notre valeureux camarade Boukharine : comment l’appareil politique bourgeois doit tomber, et comment doivent se construire sur ses ruines les engrenages de la nouvelle machine étatique puisque sa domination ne peut pacifiquement se modifier sans heurts, sans secousses, comme cela adviendra également de l’économie.

C’est pourquoi cette énorme convulsion qui passe par les phases que nous avons retracées doit pouvoir compter sur un grand développement capitaliste qui ait potentialisé les énergies productives, comme elle doit pouvoir compter dans le même temps sur les terribles conséquences de sa crise ; mais elle doit prévoir par ailleurs, et ceci nous devons également le faire savoir aux masses, parce que nous ne sommes pas des démagogues ou des illusionnistes qui voulons les transporter dans le pays de Cocagne, l’autre caractéristique terrible de la tragédie révolutionnaire : que l’on devra briser évidemment, comme l’appareil étatique, également le mécanisme de l’économie bourgeoise, avant même d’avoir reconstruit celui prolétarien ; il y aura une période de crise économique, de dépression, de misère, de sacrifices ; parce que c’est l’unique voie qui conduit le prolétariat sur le chemin de sa rédemption.

De même que le mécanisme étatique bourgeois ne peut être utilisé tel quel, mais doit être démoli, de même doit être démoli également le mécanisme économique ; il restera une partie du matériel technique, les machines, la plupart des installations, parce que tout ne sera pas détruit lors des convulsions de la guerre civile, et resteront par ailleurs l’expérience technique, les notions scientifiques ; mais il faudra briser sans pitié toute la hiérarchie de la production, tout le mécanisme administratif, même si durant des jours, des mois, des années, les usines devront être fermées et les champs à moitié déserts. Puisque ceci est la parole que l’Internationale Communiste lance au prolétariat : il n’y aura pas d’autre alternative que cette lutte pour la démolition d’un monde ennemi pour en tirer les énergies qui doivent construire un monde nouveau, ou sinon ce sera la mort lente, la mort par étouffement.

Ou cette mort lente des travailleurs, de leurs frères, de leurs enfants, qui serait la mort de l’humanité, ou la vie renouvelée à laquelle on parviendra au travers de la lutte, au travers du combat suprême !

 


 

1. "Économie de la période de transformation", publié à Moscou en 1920.

2. Sur le contrôle ouvrier avaient été publié dans la revue "Ordine Nuovo" une série d’article, rassemblés ensuite dans un opuscule des éditions Avanti! de décembre 1920. L’opuscule contenait des écrits de R. Arsky, N. Boukharine, P. Borghi, E. Matta, NP Avilov, J. Reed, avec une préface de P. Togliatti.

3. Discours de Lénine sur l’impôt en nature, tenu à la réunion des secrétaires et représentants des groupes communistes de la ville et de la province de Moscou. "Il Comunista", n. 32 du 26 mai et n. 33 du 29 mai, et dans les Œuvres Complètes de Lénine.